Après les douze travaux d’Hercule, nous vous proposons au débat douze thèses à approfondir comme précisé ci-dessus.
1. Il n’y a qu’une majorité qui vaille, c’est la majorité absolue dans l’unité d’un bloc historique populaire
Il faut en finir avec l’idéalisme de la majorité dite « relative ». Avec 577 députés, la majorité est à 289. Point barre. Arrêtons de croire, par exemple, qu’avec environ 190 députés, nous pouvons obtenir le poste de Premier ministre. Le capitalisme préférera toujours l’union de toutes les droites à l’arrivée d’une gauche. Ce fut vrai dans l’histoire. Lisez Les irresponsables de Johann Chapoutot pour enfin comprendre la séquence 1930-1933 en Allemagne(1)Lire la recension de Frédéric Pierru dans ce numéro, https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-culture/respublica-histoire/des-barons-voleurs-au-cabinet/7438039.. Comprenez alors que l’extrême droite n’arrive jamais au pouvoir par les urnes. Elle n’y arrive que lorsque l’extrême centre lui donne le pouvoir ! Voilà pourquoi le travail politique d’une gauche de gauche réside dans la constitution d’un bloc historique populaire majoritaire.
2. S’il faut globaliser tous les combats sans exception, le primat doit rester à la question sociale
Dans les pays développés, nous avons le choix, à gauche, de développer soit les luttes identitaires, soit la lutte des classes qui transcende ces identités de plus en plus fractionnées et, il faut le dire, sectaires. Dans le premier cas, on aboutit à l’essentialisation des catégories auxquelles les individus sont enjoints de s’identifier, ce qui imparablement divise la société et hypothèque la construction d’une majorité absolue, pour le plus grand bénéfice de la grande bourgeoisie qui finance justement en sous-main le prurit identitaire. L’analyse de la présidentielle américaine de 2024 est à ce titre édifiante(2)Lire nos précédents articles : « Fahrenheit 51 » et « Comprendre et que faire ? ». pour tous les pays développés, France comprise. Dans le deuxième cas, on construit la lutte des classes, avec la liaison concomitante du combat social avec le combat laïque et le slogan « français-immigrés, même combat ».
3. Un seul et même discours unifié doit mobiliser les métropoles et leurs banlieues tout autant que les zones rurales, périphériques et ultramarines
Non, on ne peut pas continuer à avoir un discours pour la France des tours et un autre pour la France des bourgs ; ni à croire que, si un discours prend dans la France des tours, cela entraînera la France des bourgs. Tout cela est voué à l’échec. Car en procédant de la sorte, on divise la classe populaire ouvrière et employée, qui fait toujours 45 % de la population active. Et dans ce cas, aucune majorité de gauche n’est possible. Dans la répartition sociale de la fin des années 1970, il était juste de penser que les conditions d’une victoire de la gauche s’ouvraient quand des régions comme les Charentes ou la Bourgogne prenaient en charge le discours unifié de l’union de la gauche de l’époque.
4. Développer la stratégie de l’évolution révolutionnaire
Cette stratégie élaborée par Karl Marx (1850), reprise par Jean Jaurès au début du XXe siècle et par la Charte d’Amiens du syndicalisme en 1906, appelle à pratiquer la concomitance de la double besogne. Et cela ne se limite pas à un programme réduit à une liste de mesures. Rappelons que les grandes avancées sociales du Front Populaire n’étaient pas dans son programme et que le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) était en fait la concrétisation d’un travail de double besogne. Par ailleurs, passer d’une guerre de mouvement à une guerre de position, comme le suggère Antonio Gramsci demande pour la gauche d’entrer dans une dialectique qui lie les ruptures nécessaires aux transitions longues pensées en termes de processus. C’est l’objet de la stratégie de l’évolution révolutionnaire.
5. Pousser jusqu’au bout les principes constitutifs d’une République sociale
Chaque période a ses principes constitutifs. Les trois premières Républiques françaises ont produit puis installé le triptyque constitutif « Liberté, Égalité, Fraternité » en y adjoignant deux principes à gestation plus difficile qu’étaient la démocratie politique et la laïcité. Ces principes ne sont plus suffisants aujourd’hui pour constituer une République sociale. À ces 5 principes, nous adjoignions 5 autres principes à savoir : la Solidarité, l’Universalité sociale, la Sûreté et la Sécurité, la Souveraineté populaire et le Développement écologique et social. Jean Jaurès disait que « le socialisme n’est que la République poussée jusqu’au bout ». Voilà donc 10 principes à pousser jusqu’au bout à partir de définitions claires et non confuses. Par exemple, la Solidarité n’est pas un principe fumeux, mais doit être définie selon la formule de Louis Blanc en 1851 : « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». Cette formule fut reprise par Ambroise Croizat dans les années 1944-46 pour la Sécu. Aujourd’hui, la France s’est éloignée de l’ensemble de ces principes. La République sociale se doit donc de les faire revenir dans l’actualité.
6. Engager les 4 ruptures indispensables
Les dégâts du capitalisme sont tels qu’il est fondamental de penser les quatre ruptures indispensables pour répondre aux besoins du plus grand nombre. Penser dès maintenant les ruptures démocratique, laïque, sociale et écologique de façon concomitante doit permettre d’espérer la justice sociale et écologique au moment de l’exercice du pouvoir.
7. Comprendre les échecs des séquences historiques et récentes
Personne n’a la science infuse. Aucun corps social ne possède la vérité. Il est donc nécessaire de la rechercher et de s’en approcher. Les erreurs du passé doivent alors servir de point de départ pour ne plus les reproduire. La méthode la plus efficace pour une gauche de gauche est l’utilisation conjointe de la dialectique et du matérialisme historique. Ses adversaires les plus importants sont l’essentialisme, le wokisme, l’identitarisme, le subjectivisme, le solipsisme, le dogmatisme, l’idéalisme, le matérialisme vulgaire et l’égoïsme élitaire d’où l’intérêt des formations et de l’éducation populaire.
8. Dégager la sphère de constitution des libertés de la République sociale du marché
Pour une République sociale, il y a une pierre angulaire largement marginalisée dans l’action politique : la sphère de constitution des libertés qui inclue l’école, les services publics et la Sécurité sociale. L’importance des budgets correspondants de ces trois entités, les reculs importants de ces derniers orchestrés par le capitalisme néolibéral, l’intérêt donné par la population sur l’efficience de ceux-ci mériterait une attention beaucoup plus grande des citoyens éclairés, des militants, et, surtout, des élus. Ces derniers deviennent trop prisonniers des intérêts de la bureaucratie, laquelle s’accommode trop facilement de la démocrature illibérale et du « modèle du despote éclairé ».
9. Combattre l’ordolibéralisme européen
Plus le temps passe, plus le type de construction européenne empêche toute politique sociale et économique efficace de gauche. Déjà, Pierre Mendès-France avait pointé à la fin de son intervention à l’Assemblée nationale le 18 juin 1957 le problème démocratique que posait déjà le traité de Rome pour toute évolution future(3)Voir le Discours de Pierre Mendès France sur les risques du Marché commun (Paris, 18 janvier 1957) – CVCE Website.. Depuis, la forfaiture organisée à la suite du non au Traité constitutionnel européen le 29 mai 2005 a montré que la Ve République est peu démocratique et que de facto ses chefs élus le sont aussi peu.
Par ailleurs, de nombreuses directives de l’UE et la quasi-entièreté des décisions de la Cour de justice de l’UE ont montré que cette construction ordolibérale de l’UE a été faite en grande partie pour empêcher toute alternative de gauche aux politiques de l’Union. De plus, nous savons depuis le tournant pris par la nouvelle géopolitique mondiale que la caractéristique ordolibérale des traités de l’Union européenne désavantage énormément l’UE, notamment avec le primat donné au droit de la concurrence. Cela l’empêche de devenir une Europe puissante pouvant rivaliser avec les États-Unis et la Chine. Toute modification importante demande l’unanimité des pays et oblige donc cette UE à faire perdurer une structure obsolète.
10. Engager une forte réindustrialisation sous transition écologique et énergétique
La Chine a pu se développer aussi rapidement parce qu’elle fut l’usine du monde. Dans la phase actuelle de l’économie mondiale, la part la plus importante de la production de richesse s’effectue via l’industrie. Ce sont les pays qui contrôlent le haut de gamme technologique qui dominent le monde, car l’économie est déterminante en dernière instance, comme l’avait déjà montré Karl Marx en son temps. Et comme le dérèglement climatique est là, cette réindustrialisation doit se faire sous l’absolue nécessité de la transition énergétique et écologique sous peine de destruction des écosystèmes biodiversitaires.
Il est à noter qu’une telle réindustrialisation nécessite un effort particulier, y compris et peut-être d’abord financier, dans toutes les formes de recherche (fondamentale, technologique, appliquée, etc.) avec un fort développement d’un écosystème scientifique et technique capable d’attirer les chercheurs et ingénieurs qui aujourd’hui vont aux États-Unis. Voilà un sujet peu développé en ce moment chez les militants de gauche !
11. Refonder le droit de la famille, de l’immigration et de la nationalité
Le recul du droit du sol dans notre pays depuis les années 1990 et les nouveaux projets des droites de faire voter de nouveaux reculs, voire de suppression du droit du sol, nous enjoignent de penser une nouvelle loi de la nationalité rétablissant un droit du sol conforme à la tradition française forgée depuis le XVIe siècle. Cette loi devra aussi permettre l’intégration de toutes et tous dans la République sociale française, intégration qui est actuellement insatisfaisante.
L’avenir raisonné d’un pays demande une pensée holistique liant de nombreux paramètres. Deux d’entre eux ne sont que rarement liés en France : celui du taux de fécondité des femmes en âge de procréer ; celui du taux d’immigration annuel souhaité. L’actuelle position des droites de vouloir cumuler une forte baisse du taux de fécondité avec une forte baisse du taux d’immigration n’est pas soutenable à moyen terme. Quant aux gauches, la faiblesse de la réflexion sur la Sécurité sociale, notamment en sa branche famille, les empêche de penser de façon concomitante ces deux taux. Pourtant, le collectif « Pas de bébés à la consigne » fait un travail considérable et mériterait d’être plus écouté pour bâtir un service public digne de ce nom de la petite enfance.
12. Engager la socialisation et la démocratisation progressives des entreprises
S’il est nécessaire de développer la démocratie politique pour éradiquer la démocrature et l’illibéralisme, il est important de refonder la démocratie sociale en redonnant la gestion de la Sécu aux assurés sociaux via des élections ad hoc. Il est également important que la démocratie ne s’arrête pas à la porte des entreprises en engageant la socialisation progressive des entreprises(4)Lire Penser la République sociale au XXIe siècle, ouvrage en deux tomes disponibles dans la Librairie militante · ReSPUBLICA..
Notes de bas de page
↑1 | Lire la recension de Frédéric Pierru dans ce numéro, https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-culture/respublica-histoire/des-barons-voleurs-au-cabinet/7438039. |
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↑2 | Lire nos précédents articles : « Fahrenheit 51 » et « Comprendre et que faire ? ». |
↑3 | Voir le Discours de Pierre Mendès France sur les risques du Marché commun (Paris, 18 janvier 1957) – CVCE Website. |
↑4 | Lire Penser la République sociale au XXIe siècle, ouvrage en deux tomes disponibles dans la Librairie militante · ReSPUBLICA. |