Les trahisons de la gauche qui l’empêchent d’être une gauche de gauche majoritaire

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La liberté ou la mort, Jean-Baptiste Regnault.

Nous nous acheminons vers un projet de loi de financement de la Sécurité sociale (Plfss 2024) calamiteux pour la classe populaire, ouvrière et employée ainsi que pour les couches moyennes intermédiaires. La situation se caractérise simultanément par :

  • Des prises de position timorées, sans vigueur des dirigeants de la gauche ;
  • Une école publique qui remplit de moins en moins son rôle historique par défaut de missions clairement définies et de moyens dont le manque d’enseignants est le signe flagrant ;
  • Des services publics qui ne sont plus en capacité de répondre aux besoins sociaux ;
  • L’invitation incompréhensible du rappeur Médine aux rendez-vous des universités d’été respectives de LFI et d’EELV ainsi qu’à la Fête de l’Humanité du PCF ;
  • LFI qui tente un tango endiablé avec la néolibérale Ségolène Royal pour les élections européennes ;
  • Un PS qui ressemble à l’âne de Buridan incapable de trancher entre deux stratégies contradictoires ;
  • Un ensemble de fausses bonnes idées qui pullulent à gauche sans aucune vision holistique (globale) qui fait perdre du temps à la gauche ;
  • Une Union européenne de plus en plus sous contrôle de l’Otan donc des États-Unis ;
  • Des bouleversements géopolitiques qui ne semblent pas sortir la gauche de sa léthargie stratégique ;
  • Des indicateurs sociaux qui montrent que la destruction des conquis sociaux a ouvert la porte à une forte croissance des inégalités sociales ;
  • Une désindustrialisation française orchestrée par le patronat français et les néolibéraux de droite et de gauche dont la vision politique et économique est axée sur les services. Cette vision ne profite qu’à une minorité élitaire, engendre un chômage et précarité au travail.

Cette stratégie illibérale et répressive inédite depuis 1945 s’appuie sur l’union de toutes les droites.

Contre cela, nous avons besoin d’une gauche de gauche. Mais tous ceux qui se disent de gauche ne le sont pas forcément. Nous nous proposons de montrer dans chaque partie du dossier comment et à partir de quand la trahison de la gauche a eu lieu pour arriver à ce que nous connaissons aujourd’hui et comment on peut en sortir par le haut. Nous traiterons notamment l’abandon progressif des principes de la République sociale(1)Liberté, Égalité, Fraternité, Laïcité, Démocratie, Solidarité, Souveraineté populaire, Sûreté et Sécurité, Universalité, Développement écologique et social., l’abandon de la lutte des classes contre les dirigeants du capitalisme qui eux mènent cette lutte de classes à leur profit, l’acceptation du capitalisme néolibéral et de l’ordolibéralisme allemand, l’étrange défaite industrielle française, la destruction programmée des services publics, le remplacement progressif d’une Sécurité sociale gérée par les travailleurs par une Sécurité sociale étatisée. La finalité de tout cela est la privatisation des secteurs rentables qui privatise les profits et socialise les pertes. L’éducation, bien commun s’il en est, intègre de plus en plus le marché et l’école privée confessionnelle amplifie et organise la ségrégation sociale pour les riches. Dans le même temps, l’école publique ne se voit plus confier comme objectif de former le citoyen libre, émancipé, socialisé. Un tel citoyen deviendrait non manipulable par la société du spectacle, par un système médiatique et électronique presque totalement aux mains d’oligarques privés sélectionnant et manipulant l’information dans le sens des intérêts des puissants.

Premier dossier, la laïcité comme l’un des principes de la République sociale(2)Laïcité : plus de liberté pour tous par Bernard Teper chez Eric Jamet éditeur, pages 19 à 34.

Pour étudier comment la gauche a engagé la trahison du principe de laïcité, nous vous renvoyons à la « brève histoire de la laïcité en France » publiée dans un livre que l’on peut se procurer dans la librairie militante du site de ReSPUBLICA(3)Voir la « Librairie militante » en haut de la page d’accueil.. Sont traités dans cet ouvrage notamment :

  • La défaite de la gauche sur la motion d’urgence laïque de février 1956 après la victoire du Front républicain ;
  • La victoire cléricale avec le retour du Général de Gaulle et la loi Debré de 1959 ;
  • Le sursaut laïque du Serment de Vincennes du 19 juin 1960 et sa pétition signée par plus de 10 millions de Français ;
  • La trahison progressive d’une partie de la gauche jusqu’au sinistre article 10 de la loi du 10 juillet 1989 de Mitterrand-Rocard-Jospin sur l’interdiction des signes religieux ;
  • Le sursaut laïque de quelques organisations dans la période 1989-2003 pour rétablir l’interdiction des signes religieux à l’école (réalisée depuis le Front populaire avec les trois circulaires de Jean Zay, le meilleur ministre de l’école de toute l’histoire de France à plusieurs titres) avec son aboutissement par la loi du 15 mars 2004.

Nous ne reviendrons pas sur la dernière période où des pans entiers de la gauche associative, syndicale et politique sont gagnés par l’idéologie woke qui relance la bataille contre la laïcité. Cela a été largement analysé dans ReSPUBLICA(4)Voir ces articles..

Il est utile de lire aussi l’article dans ce même numéro d’Arnaud Fabre et de Nicolas Glière contre la nouvelle offensive de l’abaya contre la laïcité.

Nous versons au dossier un épisode non relaté dans le livre noté ci-dessus qui montre comment l’action de militants de la gauche néolibérale et communautariste a largement participé au combat réactionnaire contre la laïcité.

Actions contestables de la Ligue de l’Enseignement contre la laïcité depuis 1986

Suite au tournant de 1983 qui fut le démarrage d’une politique anti-sociale austéritaire et de 1984 qui fut une victoire cléricale, la direction nationale de la Ligue de l’Enseignement a été un acteur incontestable, avec quelques autres organisations, de la fragilisation du principe de laïcité à partir de la gauche 1986. En quelques années, les deux fondements liés de la gauche ont chaviré : le fondement économique et social (rôle de l’État, services publics, etc.) et le fondement philosophique de la laïcité. La laïcité a été dilapidée par les héritiers des géniteurs du principe, dont Jean Macé et Ferdinand Buisson, à la Ligue de l’enseignement dès 1866. Le principe constitutionnel aujourd’hui est devenu un concept polymorphe avec des courants mono-religieux « l’islamolaïcité » qui légitime et réactive le courant « catholaïcité » du FN et de la droite catho et conforte une ligne œcuménique et interconvictionnelle

Le Congrès de la Ligue française de l’enseignement à Lille en juillet 1986 souligne que les religions étant considérées comme des composantes de l’identité culturelle, « il convient d’étudier la place qui leur revient, sur des critères scientifiques et historiques, dans l’appareil éducatif et les institutions culturelles » ; le dialogue avec toutes les églises, religions et convictions est appelé « à se généraliser et à prendre une forme institutionnelle »(5)« Vers une expression nouvelle de la laïcité », c’est le titre d’un dossier de 16 pages « document épiscopat » publiées dans le bulletin du secrétariat de la conférence des évêques de France en janvier 1989. Rédaction Gaston Piétri, secrétaire général adjoint de la Conférence des évêques de France. Dans ce texte, il est fait référence au congrès de la Ligue de Lille en 1986. Ce texte mentionne : « Et, s’il y a aujourd’hui urgence de redéfinir une laïcité, c’est aussi et surtout à cause de l’effritement de cette morale […] Il est urgent d’œuvrer à une expression nouvelle de la laïcité. ».

En 1987 le Cardinal Vilnet lance cet appel œcuménique pour répondre à la sollicitation de la Ligue : « L’heure semblerait venue de travailler avec d’autres, à redéfinir le cadre institutionnel de la laïcité », aussitôt, à l’unisson, ces collègues cardinaux prenaient la relève « entre l’Église et l’État, on ne peut plus parler de séparation, mais de collaboration », affirme en I988 Decourtray sitôt suivi par son confrère Lustiger : « Si l’État ne faisait pas l’effort de redéfinir les conditions de la séparation, dans l’état actuel des mœurs et de la société, il porterait gravement atteinte à un droit imprescriptible, au patrimoine spirituel qui est un bien de la nation. »

En 1988, lors de l’assemblée générale d’Avignon de la Ligue de l’Enseignement son secrétaire général évoque : le partage avec les églises constituées « du même statut juridique, la loi de 1901 ». Il faut, dit-il, « organiser le cas échéant, à l’intérieur de l’école, une vie associative fondée sur l’engagement confessionnel ».

Ni sacré ni éternel. Le secrétaire national de la Ligue française de l’enseignement, signataire en juin dernier d’un “nouveau pacte laïque” avec la Fédération protestante de France, écrit : “Est-ce que ces jeunes filles ont manifesté vraiment le désir d’influencer leurs condisciples ? Ont-elles fait ostensiblement leurs prières en classe, exprimé leur hostilité à l’égard des catholiques, protestants, israélites ou incroyants ? Ont-elles refusé de participer à certains cours ? Si non, qu’elles gardent leur foulard. Un règlement n’est ni sacré ni éternel, et la laïcité ne consiste pas dans le maintien à tout prix de l’ordre établi.

M. MICHEL MORINEAU dans Le Monde du 26 octobre 1989.

Puis mise en place de la commission au sein de la Ligue « Islam et laïcité » avec Tariq Ramadan.

Le 13 janvier 1990, le président de la conférence épiscopale remercie la Ligue de l’Enseignement lors d’un colloque organisé par l’enseignement catholique « Nouvelles cultures, nouvelle laïcité ». Noël Copin lit un message du Cardinal Vilnet à l’endroit de Jean-Louis Rollot président de la Ligue de l’enseignement participant au colloque : « Monsieur je vous remercie de ce que, depuis quatre ans, vous et votre organisation avez proposé et provoqué dans un dialogue. Ce que nous vivons ensemble aujourd’hui, je le situe dans la trame de ce que la ligue de l’enseignement a favorisé, dialogue dans lequel l’église catholique en France est entrée volontiers et je le dis aujourd’hui avec reconnaissance et avec le souhait que nous puissions continuer ». Parmi les intervenants de ce colloque : Jean-François Mattei : « Aujourd’hui ce terme de laïque me paraît un peu dépassé, tout au moins dans la terminologie à laquelle il est fait référence dans la Constitution quand on dit que la France est un État laïque”. À mon avis ce terme n’a plus tellement sa raison d’être à ce niveau. »

Au tour de Jean-Louis Rollot : « Les identités culturelles sont fort diverses à l’intérieur de l’Hexagone comme celles qui viennent d’ailleurs. Face à cette réalité je crois que nous devons passer d’une laïcité que l’on pourrait qualifier de négative qui se fondait sur la neutralité et qui pouvait déraper et aller jusqu’à la quête de la culture unique, à une laïcité que je qualifierais de positive… »

Le Monde du 19 avril 2016 : « Tariq accompagnait ces jeunes musulmans qui voulaient entrer dans la modernité d’une société sécularisée tout en gardant leur foi religieuse. Il était l’homme dont nous avions besoin pour lancer notre commission sur la laïcité et l’islam », rappelle Michel Morineau, à l’époque patron de la Ligue de l’enseignement. De 1995 à 2000, ce dernier effectue de nombreux déplacements en province avec Tariq Ramadan. Baubérot était à la manœuvre. ll a d’ailleurs écrit un livre retraçant cet extraordinaire pacte, concordat entre une Église et la Ligue de l’enseignement : Vers un nouveau pacte laïque, préface de Morineau. Comme René Rémond qui, dans La République souveraine : la vie politique en France (1879 1939) par René Rémond (éditions Fayard, 2002) déclare que la Ligue de l’enseignement « estime que la laïcité scolaire n’est plus le terrain sur lequel il faut se battre aujourd’hui ».

Les cadeaux financiers annuels des néolibéraux de droite et de gauche aux structures religieuses

Chaque année, il y a un nouveau cadeau aux adversaires de la laïcité. On ne compte plus les financements publics des édifices religieux à commencer par des cathédrales catholiques, des temples protestants, des synagogues, des mosquées. Cela est facilité grâce à la confusion organisée entre cultuel et culturel permettant le financement public des cultes comme activité culturelle. L’autre biais antilaïque est le recours aux baux emphytéotiques quasi gratuits. Et bien sûr dans le même temps, toujours moins pour le social et plus d’inégalités sociales de toutes natures comme si le droit social devait être remplacé par des actions de charité !

Tropisme macroniste clérical pour un dualisme scolaire

Pour 2023, le président Macron accentue sa marche vers un nouveau concordat scolaire. Alors que jusqu’ici seuls les établissements privés, un par un, pouvaient passer un contrat avec l’État, c’est un accord aujourd’hui direct et global avec la tutelle cultuelle que leur a servi le président Macron. En fait, cette politique néolibérale qui ne peut se passer du soutien direct des églises est en train de permettre au réseau des écoles privées confessionnelles (à 95 % catholiques) de revenir comme au XIXe siècle l’école des riches comme le montre le tableau suivant. 

Par sa signature, l’État confère ici, à une structure religieuse, un illégitime label représentatif que la loi Debré n’avait osé brandir et avait pris soin d’éviter. C’est, après les accords « Lang-Cloupet », un nouveau concordat scolaire qui trahit les fondements de la République. L’enseignement public n’a lui aucune tutelle. Dans notre société sécularisée, l’enseignement catholique, cheval de Troie du libéralisme, constitue une machine de guerre au profit de la liberté d’entreprise pour, au nom de l’autonomie, « en finir avec l’État qui instruit et éduque ». Peut-on continuer à occulter cette question fondamentale pour l’École et la République ?

Pour 2023, le président Macron accentue sa marche vers un nouveau concordat scolaire. Alors que jusqu’ici seuls les établissements privés, un par un, pouvaient passer un contrat avec l’État, c’est un accord aujourd’hui direct et global avec la tutelle cultuelle que leur a servi le président Macron.

L’assemblée des évêques a décrété, en 2008, l’enseignement catholique, service officiel de l’Église. Ainsi, en 2013, son statut s’inscrit explicitement dans le droit canon afin « d’éduquer pour évangéliser ». L’État doit-il être missionnaire d’une Église ?

L’idéologie anti-laïque primaire invitée à certaines universités d’été de la gauche politique

Et pendant ce temps-là, le rappeur Médine joue sur les mots à la manière de Jean-Marie Le Pen. Le deuxième avait en son temps lancé son « Durafour crématoire », le premier fait la même chose avec la journaliste Rachel Khan, en parlant d’elle comme une « resKhanpé », elle dont tous les membres de sa famille, hormis deux personnes, sont morts à Auschwitz. Et voici quelques amabilités qu’il produit dans ses chansons contre la laïcité :

– « …Crucifions les laïcards comme à Golgotha

Le polygame vaut bien mieux que l’ami Strauss-Kahn… »

– « …Ils n’ont ni Dieu ni maître à part Maître Kanter

Je scie l’arbre de leur laïcité avant qu’on le mette en terre… »

– « …On ferme les portes de l’éducation

“Ah bon ? Pardon patron, moi y’a bon”

Vas-y Youss’, balance le billet

J’mets des fatwas sur la tête des cons

Religion pour les francs-maçons, catéchisme pour les athées

La laïcité n’est plus qu’une ombre entre l’éclairé et l’illuminé

Nous sommes épouvantail de la République

Les élites sont les prosélytes des propagandistes ultra laïcs

Je me suffis d’Allah, pas besoin qu’on me laïcise… »

Et d’ajouter encore :

– «…Si j’te flingue dans mes rêves j’te demande pardon en me réveillant

En me référant toujours dans le Saint-Coran… »

Et dans un autre texte intitulé « Jihad » :

– « Étudier reste la seule solution

Pour les blancs, les noirs, les gens issus de l’immigration

Ma richesse est culturelle, mon combat est éternel

C’est celui de l’intérieur contre mon mauvais moi-même

Mais pour le moment les temps resteront durs

Et pour le dire une centaine de mesures, Jihad »

Même s’il s’est quelquefois excusé de certains propos, mais jamais sur ceux contre la laïcité, le fait qu’il soit invité dans des universités d’été de la gauche (EELV, LFI, PCF) pour des raisons idéologiques ou électorales, montre que le chemin est encore long pour lier l’ensemble des combats et notamment le combat laïque au combat social avec un primat de la bataille sociale. Et que sans cette liaison entre combat social et combat laïque, l’histoire montre qu’il ne peut y avoir de bloc historique populaire majoritaire dans un pays économiquement développé comme le nôtre.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Liberté, Égalité, Fraternité, Laïcité, Démocratie, Solidarité, Souveraineté populaire, Sûreté et Sécurité, Universalité, Développement écologique et social.
2 Laïcité : plus de liberté pour tous par Bernard Teper chez Eric Jamet éditeur, pages 19 à 34.
3 Voir la « Librairie militante » en haut de la page d’accueil.
4 Voir ces articles.
5 « Vers une expression nouvelle de la laïcité », c’est le titre d’un dossier de 16 pages « document épiscopat » publiées dans le bulletin du secrétariat de la conférence des évêques de France en janvier 1989. Rédaction Gaston Piétri, secrétaire général adjoint de la Conférence des évêques de France. Dans ce texte, il est fait référence au congrès de la Ligue de Lille en 1986. Ce texte mentionne : « Et, s’il y a aujourd’hui urgence de redéfinir une laïcité, c’est aussi et surtout à cause de l’effritement de cette morale […] Il est urgent d’œuvrer à une expression nouvelle de la laïcité. »