France-Algérie : de l’eau dans le gaz

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Force est de constater que les relations entre la France et l’Algérie, qui ont une histoire commune, prennent la tournure d’un conflit de plus en plus ouvert. Cette histoire commune est traversée par une période coloniale marquée par des crimes contre l’humanité tels le travail forcé, des massacres au lendemain de la Libération (environ 15 000 Algériens seront massacrés le 8 mai 1945. Source : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/1945-le-massacre-de-setif-en-algerie), la torture coloniale (selon le Général Massu, « le principe de la torture était accepté ; cette action, assurément répréhensible, était couverte, voire ordonnée, par les autorités civiles, qui étaient parfaitement au courant », Le Monde, 21 juin 2000.), la répression des travailleurs algériens dans l’hexagone, une Guerre d’indépendance illustrée par des horreurs commises de part et d’autre (la torture a aussi été employée sur des harkis, des indigènes et des Pieds-Noirs et au sein de leurs membres, notamment lors de la Bleuite par le FLN et l’ALN, mais pas avec le même systématisme ni dans les mêmes proportions. Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Torture_pendant_la_guerre_d%27Alg%C3%A9rie).

Manifestement, cette histoire commune, au lieu de rapprocher les deux nations, les deux peuples, est instrumentalisée pour détourner l’attention des réels problèmes contemporains.

Rente mémorielle et dérive autoritaire

Depuis l’indépendance, les opposants au pouvoir algérien sont emprisonnés, voire assassinés. Sans être exhaustif, rappelons que Messali Hadj, figure du nationalisme algérien, a été écarté de l’Algérie indépendante et que ses partisans ont été assassinés ; le premier président de l’Algérie, renversé par Houari Boumediene, a dû se réfugier en France ; Mohamed Harbi, responsable du FLN dans l’hexagone et emprisonné, a réussi à gagner la France. Actuellement, nombre d’intellectuels et de partisans de l’émancipation des femmes doivent se réfugier en France.

Le pouvoir autoritaire, voire autocratique, s’appuie sur la Guerre d’indépendance, sur une période coloniale peu glorieuse qui a écorné l’image démocratique de la France, la narration d’un pays de la liberté depuis 1789 et le siècle des Lumières, pour détourner l’opinion de l’incurie politique et économique du gouvernement des dirigeants algériens.

Instrumentalisation de la question coloniale

Il faudra bien un jour tourner la page. Les « décolonialistes » et les « indigénistes » en France assignent les Français d’origine algérienne et africaine à être des victimes perpétuelles du passé colonial qu’ils n’ont pour la plupart pas connu. Ils oublient de préciser que l’expansion coloniale française n’a pas fait l’unanimité et que des Français d’importance ont condamné le colonialisme et ses méfaits, tels Jean Jaurès et Clemenceau. Ces derniers se sont opposés à la vision d’un Jules Ferry, baptisé le Tonkinois, qui évoquait une soi-disant mission civilisatrice de l’Occident à l’égard du continent africain ou du Sud-est asiatique.

Ils oublient également de préciser que la traite négrière arabo-musulmane est responsable de cette ignominie au moins autant que ce crime contre l’humanité qu’a été le commerce triangulaire européen. L’Occident ne peut être réduit, à des fins identitaires et communautaristes, à cette période mortifère contre l’Afrique. L’Occident est également l’un des lieux d’émergence et d’épanouissement des Lumières émancipatrices des individus et de mise à distance de la tutelle religieuse dans sa forme intégriste et obscurantiste. Ces Lumières et la Révolution française de 1789 ont d’ailleurs été des inspirations puissantes des leaders indépendantistes et décolonialistes des années d’après la Seconde Guerre mondiale. C’est ce que semble oublier une partie de la jeunesse et des habitants de nos banlieues manipulée par les courants de pensée obscurantistes. Qu’une partie de la Gauche s’en accommode pour des raisons électoralistes est extrêmement problématique et l’éloigne de son projet d’origine d’émancipation individuelle et collective.

Une stratégie inefficace : « Je ne suis pas satisfait. »

La rue algérienne n’est pas dupe de cette stratégie qui consiste à ouvrir un conflit avec la France. Sur les réseaux sociaux, l’injustice et la dégradation des conditions de vie sont vilipendées par des contestataires, en majorité jeunes, sous le mot d’ordre « Manich Radi » ou « Je ne suis pas satisfait ». Ces insatisfaits qui s’expriment sont catalogués de complotistes au service de pays étrangers, en premier lieu celui de la France. Sont dénoncés la diminution du pouvoir d’achat avec un salaire moyen se situant à 350 €/mois, une inflation forte, un chômage élevé, notamment chez les jeunes, l’accaparement des richesses fossiles du pays par une caste corrompue, une oligarchie proche du pouvoir… De même, le fait que des gens meurent de la malaria dans le sud du pays confirme l’incurie gouvernementale.

Cela traduit une profonde inquiétude du pouvoir algérien, qui est aux abois et qui craint un nouvel « Hirak »(1)Hirak, mouvement d’une ampleur inédite depuis des décennies, a rassemblé des millions de personnes de février à mai 2019 avant de s’essouffler. Ces manifestations ont conduit Bouteflika à démissionner le 2 avril 2019 alors qu’il voulait se maintenir au pouvoir au-delà de son mandat. ou « Mouvement » en français, étouffé par la pandémie du Covid-19.

Répression tous azimuts : des méthodes de barbouzes

Il est observé, à ce jour, une quinzaine d’arrestations qui s’ajoutent aux plus de 200 détenus dans les prisons pour délit d’opinion. Il serait plus juste de parler de délit d’expression d’une opinion critique ou subversive. Évidemment, c’est toujours le même motif propre à tous les régimes autoritaires et corrompus qui est mis en avant, à savoir « acte terroriste ou subversif, acte visant la sûreté de l’État, acte portant atteinte à l’intégrité du territoire et à la stabilité et au fonctionnement normal des institutions ».

L’arrestation la plus emblématique a été celle de Boualem Sansal le 16 novembre 2024. Dans ses écrits et propos, l’écrivain critique l’immobilisme du gouvernement et de la société algérienne, ainsi que la répression des esprits libres. De fait, pour tout régime autoritaire, la moindre possibilité de produire une critique fragilise le pouvoir et c’est inacceptable pour lui.  Un pouvoir qui désobéit à ses propres règles de droit, comme la présence d’un avocat dans le cas de Boualem Sansal, démontre son caractère absolutiste ou sa dérive vers un absolutisme. Il est incompréhensible que la députée européenne insoumise Rima Hassan et quatre autres membres du groupe votent contre une résolution appelant à la libération immédiate et sans condition de Boualem Sansal, tandis que deux autres du même groupe, dont Manon Aubry, se sont abstenus. La défense de la liberté d’expression serait-elle à géométrie variable ?

Les Algériens doivent faire face à des méthodes de barbouzes illustrées par l’incursion dans les logements à toute heure pour arrêter d’éventuels opposants.

Le Sahara occidental

Le conflit entre l’Algérie et le Maroc sur ce territoire a sans doute envenimé les relations avec la France et conduit à l’arrestation de Boualem Sansal. Quelle que soit l’opinion exprimée par ce dernier, cela ne justifie en aucun cas son emprisonnement, mais bien l’organisation d’un débat transparent. Sans doute, la France, par la voie de son Président, qui, jusque-là, faisait preuve d’équilibre diplomatique et de prudence, en basculant dans le camp marocain, n’a pas usé d’une stratégie intelligente. Le droit pour les Sahraouis de décider de leur avenir par des voies pacifiques et référendaires paraît légitime. Le seul parti à défendre n’est non pas celui de l’Algérie ou du Maroc, mais celui du peuple sahraoui à disposer de lui-même. Ce qui est valable pour les Palestiniens et les Ukrainiens est valable pour les Sahraouis.

Immigration

Dans notre pays, la question des relations avec l’Algérie est polluée par des considérations politiciennes sur la gestion des flux migratoires. Certains pratiquent la généralisation abusive. Des actes terroristes sont commis au nom d’un islam politique, donc tous les immigrés sont des terroristes. Des femmes portent le voile religieux, donc toutes les femmes de culture musulmane seraient soumises. Les prisons sont occupées en bonne partie par des personnes d’origine immigrée, donc tous les immigrés sont potentiellement des délinquants, même si ces voyous sont extrêmement minoritaires parmi cette frange de la population française.

L’accord franco-algérien relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles(2)https://www.gisti.org/IMG/pdf/accord_franco-algerien.pdf. stipule qu’ « un effort spécial sera réalisé, avec des moyens accrus en faveur des travailleurs algériens, d’une part pour développer l’enseignement aux adultes, la préformation et la formation professionnelle ainsi que l’accès aux divers cycles de la promotion du travail, d’autre part pour améliorer, d’une manière continue, les conditions de vie et de logement de ces travailleurs » et que « les membres de la famille qui s’établissent en France sont mis en possession d’un certificat de résidence de même durée de validité que celui de la personne qu’ils rejoignent ». Les conditions du regroupement familial sont précisées dans l’accord. De nombreux articles ont été abrogés par des avenants en 1985.

Le ministre de l’Intérieur, arguant du refus des autorités algériennes d’« accueillir » l’influenceur algérien expulsé par Paris dans des conditions qui mériteraient d’être éclaircies(3)https://www.france24.com/fr/france/20250111-expulsion-rat%C3%A9e-d-un-influenceur-l-alg%C3%A9rie-rejette-les-accusations-d-escalade-de-la-france. L’expulsion ratée semble reposer sur une violation du droit français par les autorités françaises elles-mêmes., souhaite une remise en cause des accords de 1968. Si Paris a bien raison d’exiger la libération de Boualem Sansal et de prendre des mesures de coercition à l’égard des influenceurs qui appellent à s’en prendre à la France ou qui tiennent des propos haineux à l’égard de notre pays, est-il utile de jeter de l’huile sur le feu avec la remise en cause de cet accord ?

En revanche, il serait compréhensible de refuser les soins pour les apparatchiks de l’État algérien qui recourent à nos hôpitaux. Les soins devraient être remboursés par Alger qui, selon certaines sources, détient des dettes à ce sujet(4)Il s’avère que l’Algérie détient une dette à l’égard de la France à hauteur de 45 millions d’euros par le refus de s’acquitter d’une parte des frais médicaux et d’hospitalisation, https://www.europe1.fr/societe/scandale-medical-quand-lalgerie-laisse-une-dette-de-45-millions-deuros-dans-les-hopitaux-parisiens-249444. L’Algérie dément en affirmant qu’elle paie toujours ses dettes, https://www.tsa-algerie.com/soins-impayes-en-france-lalgerie-repond-avec-les-chiffres/.

Protectionnisme, frontières et immigration

Ces trois notions, contrairement à ce qu’affirment les dévots d’une « mondialisation heureuse », ne sont pas des gros mots. Elles ne sont pas synonymes de nationalisme guerrier et conquérant.

Le protectionnisme peut être ouverture et échange sur des bases régulatrices. La frontière « n’est pas seulement une fermeture, c’est une interface entre l’organisme et son environnement, ce n’est pas un rideau étanche, comme toute frontière n’est pas un mur. Le mur interdit le passage, la frontière le régule. Dire d’une frontière qu’elle est une passoire, c’est lui rendre son dû : elle est là pour filtrer(5)Pensée de Régis Debray, Éloge des frontières, source : https://philophore.fr/articles/fiches-de-lecture/eloge-des-frontieres-regis-debray-fiche-de-lecture/.. »

C’est dans cet esprit qu’il faut penser une immigration gérée de façon humaine qui n’interdit pas, bien au contraire, l’empathie, la solidarité, l’accueil à l’égard des victimes des sécheresses et inondations dues aux dérèglements climatiques, de la paupérisation et la misère dues aux relations commerciales prédatrices, des guerres entre États et civils, des dictatures… Dans le même temps, chaque État a le droit de préserver ses normes et règles, sa façon de faire société.

Pour notre pays, il s’agit des valeurs de « liberté, d’égalité, de fraternité » et du principe d’organisation sociale qu’est la laïcité fondée sur la liberté de conscience, d’opinion et d’expression. Il paraît légitime que tout migrant qui sollicite un permis de séjour s’engage à respecter ces valeurs et ce principe. Il paraît légitime que la puissance publique organise des formations pour que chacun et chacune les intègre. Cela est d’autant plus facile que notre République laïque s’abstient de définir ce que serait « la vie bonne », la bonne façon de vivre, du moment que ces règles et normes peu contraignantes sont respectées.

Une politique de régulation de l’immigration ne s’oppose pas à l’esprit humaniste. Si la Gauche veut reconquérir les classes populaires sur un programme émancipateur, progressiste de justice sociale, elle doit abandonner tout angélisme en la matière, sans tomber dans l’obsession sécuritaire.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Hirak, mouvement d’une ampleur inédite depuis des décennies, a rassemblé des millions de personnes de février à mai 2019 avant de s’essouffler. Ces manifestations ont conduit Bouteflika à démissionner le 2 avril 2019 alors qu’il voulait se maintenir au pouvoir au-delà de son mandat.
2 https://www.gisti.org/IMG/pdf/accord_franco-algerien.pdf.
3 https://www.france24.com/fr/france/20250111-expulsion-rat%C3%A9e-d-un-influenceur-l-alg%C3%A9rie-rejette-les-accusations-d-escalade-de-la-france. L’expulsion ratée semble reposer sur une violation du droit français par les autorités françaises elles-mêmes.
4 Il s’avère que l’Algérie détient une dette à l’égard de la France à hauteur de 45 millions d’euros par le refus de s’acquitter d’une parte des frais médicaux et d’hospitalisation, https://www.europe1.fr/societe/scandale-medical-quand-lalgerie-laisse-une-dette-de-45-millions-deuros-dans-les-hopitaux-parisiens-249444. L’Algérie dément en affirmant qu’elle paie toujours ses dettes, https://www.tsa-algerie.com/soins-impayes-en-france-lalgerie-repond-avec-les-chiffres/.
5 Pensée de Régis Debray, Éloge des frontières, source : https://philophore.fr/articles/fiches-de-lecture/eloge-des-frontieres-regis-debray-fiche-de-lecture/.