Des phases positives et négatives de la Révolution chinoise
Depuis la dynastie Xia installée le long du fleuve jaune (vestiges d’Erlitou dans le Henan) au début de l’âge de bronze jusqu’à la séquence ouverte par Xi Jinping de nos jours, 4 000 ans d’histoire ont façonné la Chine. L’Empire chinois commence à s’effondrer à partir de 1820 avec l’écroulement de la dynastie Qing et l’arrivée des colonisateurs occidentaux.
Le 1er octobre 1949, date de la proclamation de la République populaire de Chine, la population chinoise a l’un des niveaux de vie les plus bas de la planète, une espérance de vie de 36 ans et 85 % d’analphabètes. La séquence Mao Zedong est l’un des rétablissements les plus spectaculaires de l’histoire du monde, qui montre la possibilité toujours ouverte qu’une révolution peut apporter à l’émancipation humaine ; elle se termine avec une espérance de vie de 64 ans. Et cela fut réussi malgré deux épisodes traumatisants, celle de la famine du « Grand bond en avant » (1959-61) et celle de la phase exacerbée du « gauchisme d’État » appelée « Révolution culturelle » (1966-67).
La décision de l’équipe de Deng Xiaoping, arrivée au pouvoir en 1978, d’intensifier « les 4 modernisations » (Industrie, Science et Technologie, Armée et Agriculture), a ouvert l’économie chinoise au principe du capitalisme et de « l’usine du monde ». La deuxième partie de son règne est celui de son combat contre deux tendances, celle qui rechigne à son ouverture au capitalisme et celle qui souhaite une position moins autoritaire. Dans ce dernier cas, il tranche pour l’autoritarisme avec la répression de la place Tian’anmen. L’arrivée de Xi Jinping renforce cette évolution avec un caractère nationaliste plus marqué.
Le succès économique est aujourd’hui incontestable : après avoir dépassé les États-Unis en PIB en parité de pouvoir d’achat en 2014, la Chine représente plus de 20 % du PIB mondial en parité de pouvoir d’achat aujourd’hui. Elle est actuellement la première puissance mondiale quant à son industrie, à ses exportations et par son leadership sur les technologies critiques à forte valeur ajoutée. Son espérance de vie est aujourd’hui de plus de 78 ans. Elle est considérée par l’OCDE comme la première puissance mondiale sur le plan des comparaisons des systèmes éducatifs. Le revenu moyen chinois représente 83 % de celui de la France en parité de pouvoir d’achat. 95 % des Chinois ont une assurance-maladie, contrairement à la moitié de la population terrienne. Elle possède 60 % des panneaux solaires et 50 % des éoliennes de la planète. Son réseau ferré concernant les lignes « grande vitesse » atteint 42 000 km.
Le tournant de l’administration Deng
Écarté à deux reprises sous l’administration de Mao Zedong, Deng remonte vers le pouvoir à la suite de la mort de Mao. Les années 1978-1980 lui permettent d’asseoir son pouvoir. Cette nouvelle séquence est théorisée par l’administration Deng par plusieurs items.
Le premier est que l’on ne peut pas évoluer du féodalisme au socialisme sans passer par la phase du capitalisme, ce qui est contraire aux idées de Joseph Staline et de Mao Zedong. Cette position est conforme à une autre interprétation marxienne selon laquelle le changement du capitalisme vers le socialisme ne peut pas avoir lieu tant que les forces productives ne sont pas bloquées par les rapports de production capitalistes. Voilà pourquoi la Chine tourne le dos à un changement des rapports sociaux vers le socialisme avant la nécessaire montée des forces productives.
En revanche, elle appelle à la continuation de la politique de la séquence précédente sur le rôle directeur du Parti communiste chinois, théorisé comme un déjà-là du système socialiste futur. L’objectif est d’aller progressivement vers un système local et provincial de concurrence économique, avec une intégration mesurée, mais volontaire, dans le libre-échange capitaliste mondial. En parallèle, est développé le primat de la puissance publique via l’action de la planification et du Parti communiste chinois. La séquence ouverte par l’administration Xi (prononcer « Chi »), tente de relancer progressivement la qualité de la vie et la richesse collective, et non la richesse individuelle, comme dans le capitalisme actuel occidental. Il y a aussi l’accentuation d’un nationalisme et d’un pragmatisme économique basé sur « la primauté de la pratique » maoïste, de l’expérimentation et du développement cognitif scientifique et technologique « denguiste ».
Comprendre la pensée chinoise
Le débat au sein du parti communiste chinois (plus de 90 millions de membres) s’organise autour de l’étude constante de ces caractéristiques :
- d’une part en fonction de la mutation géopolitique analysée
- et d’autre part de son aptitude au contrôle social populaire.
Il faut ici comprendre que la pensée chinoise comme la pensée de chaque partie du monde est largement la conséquence d’une part des grands penseurs de leur région et d’autre part de leur histoire. Les grands penseurs chinois et leurs débats internes, Confucius (551 à 479 avant notre ère), Sun Tzu (544 à 496 avant notre ère), Mozi (479 à 392 avant notre ère), Mencius (372 à 289 avant notre ère) et quelques autres ont forgé le débat interne philosophique et politique de la Chine. Pour l’histoire, la colonisation dramatique des Occidentaux au 19e siècle, la trentaine de millions de morts dans sa guerre contre le Japon et quelques autres évènements historiques ont également donné un cadre formateur singulier. Sur le plan philosophique, pour la pensée chinoise, l’être est plus la relation que la substance. Ou dit politiquement, la pensée occidentale cherche des alliés qui lui ressemble, alors que les Chinois n’ont aucun allié, mais cherchent des accords sur des objectifs précis. C’est la leçon que nous livre Chas Freeman, proche de Kissinger, ancien ambassadeur des États-Unis en Arabie saoudite et ancien secrétaire adjoint à la défense pour la sécurité intérieure.
Fonctionnement actuel de la Chine
Il faut aussi comprendre le fonctionnement actuel de la Chine(1)La Chine, ce pays si mal connu – ReSPUBLICA., de même que la dialectique interne de la mutation géopolitique que nous observons. Le monde entier est en train de muer à partir d’un capitalisme néolibéral libre-échangiste vers un National Capitalisme Autoritaire (NaCA). Les impérialismes, dont les contradictions vont s’exacerber, se copient mutuellement tout en gardant pour chacun d’entre eux les formes des rapports sociaux qui maintiennent leurs pouvoirs sur les masses. Voilà pourquoi il y a une tendance actuelle à la généralisation du National Capitalisme Autoritaire dans tous les camps impérialistes. La force du NaCA chinois est basée sur une planification de long terme, quand l’Occident privilégie les gains de court terme pour la classe dirigeante. La décroissance de l’influence des vieux capitalismes occidentaux pousse l’Occident à rejoindre le NaCA chinois, compte tenu de sa réussite économique. De ce point de vue, la fable d’une contradiction entre les démocrates occidentaux versus les autoritaires du « Sud global » ne résiste pas à une analyse sur le long terme. La poussée des extrêmes droites, y compris dans l’Union européenne, en porte témoignage. Il s’agit bien aujourd’hui d’une contradiction entre impérialismes, chacun d’entre eux voulant conduire ses peuples vers le NaCA. Bien évidemment, chaque impérialisme s’effectue en fonction de ses intérêts, de sa pensée profonde et de son histoire. L’impérialisme étatsunien a des caractéristiques différentes de celui de la Chine ou des autres sous-impérialismes.
Le maintien chinois du primat en dernière instance d’une part de l’économique sur l’idéologie politique et d’autre part de la connaissance des évolutions sociales sur la pensée de la classe dirigeante fait que, dans le NaCA qui se généralise, la Chine a une avance non négligeable.
Le maintien chinois du primat en dernière instance d’une part de l’économique (par la planification long terme et la formation scientifique et technologique) sur l’idéologie politique et d’autre part de la connaissance des évolutions sociales sur la pensée de la classe dirigeante fait que, dans le NaCA qui se généralise, la Chine a une avance non négligeable. Cela le rend de plus en plus désirable pour la majorité du monde, qui souhaite le développement d’un multilatéralisme moins verticalisé que celui souhaité par les États-Unis. Il est à noter, sur le plan économique, que, parallèlement, à une planification rigoureuse, la concurrence interne est par certains côtés assez développée en Chine, car le pouvoir politique a une action anti-trust qui peut se montrer très énergique. Il y a beaucoup d’entreprises moyennes travaillant directement à l’export.
Concernant le commerce international, comme nous l’avons présenté dans une trilogie d’articles, trop d’excédents commerciaux des uns et trop de dettes des autres(2)Comprendre la crise économique, sociale et politique mondiale – premier volet ; Comprendre la crise économique, sociale et politique mondiale – deuxième volet et Comprendre la crise économique, sociale et politique mondiale – troisième volet – ReSPUBLICA. entraînent l’entrée dans le monde conflictuel des impérialismes.
Quant à la démocratie, certains intellectuels chinois estiment qu’un processus de démocratisation de la Chine doit intervenir, mais que la priorité actuelle est plutôt de privilégier la réponse à la politique trumpiste qui vise à mettre en difficulté ses exportations(3)Politique chinoise : Li Qiang répond à Donald Trump – ReSPUBLICA.. Ces intellectuels suggèrent par exemple de coupler cela avec un accroissement de la demande intérieure. Mais ce changement est difficile, car il suppose un changement qualitatif de régime. D’autant qu’ils estiment, non sans argument, qu’il ne faut pas copier l’Occident, les systèmes « démocratiques » occidentaux étant plus oligarchiques que démocratiques et surtout moins efficaces. En effet, pour le plus grand nombre, notamment au sein de l’Union européenne, les changements de politiques économiques sont plus compliqués, car corsetés par les traités et directives et par la difficulté des transferts financiers entre pays pauvres et pays riches de l’UE(4)Notre regretté économiste Michel Zerbato l’avait déjà écrit il y a plus de 10 ans : L’Allemagne ne paiera pas – 2 : L’impossible sortie de crise dans le cadre de l’euro de Maastricht – ReSPUBLICA.. En fait, les batailles démocratiques existent sur toute la planète, mais, pour chacune d’entre elles, le débat porte sur la démocratie vers laquelle il est souhaitable d’aller pour le plus grand nombre à partir de l’existant.
Que faire aujourd’hui ?
Voilà pourquoi la gauche occidentale, aujourd’hui largement campiste, devient hors champ dans la mesure où elle ne s’appuie pas sur une connaissance fine du réel. Oui, une gauche de gauche doit travailler à sortir du NaCA et non à soutenir l’un des camps impérialistes actuels. Cela sera l’un de nos prochains articles centrés sur la nécessité d’une nouvelle théorie révolutionnaire.
Notes de bas de page