L’Allemagne dans la nouvelle géopolitique mondiale

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L’Allemagne occupe une position internationale d’importance et, en Europe, elle est dominante. La RFA se trouve être en crise sur le plan économique et doit faire face à la montée de l’extrême-droite qui surfe sur le rejet de l’immigration. La gauche (die Linke) est dans une passe difficile depuis la scission et le départ de députés qui ont constitué un nouveau parti de gauche, le BSW (Pour la raison et la justice). Le texte qui suit est une tentative d’analyse qui nous interpelle également en France.

3ème place sur l’échiquier mondial et situation fragile

Hier quatrième puissance mondiale dans la hiérarchie des Productions intérieures brutes (PIB) en PIB nominal en dollars, elle est aujourd’hui en troisième position, car elle vient de dépasser le Japon qui a replongé dans la récession, ce qui a fait fléchir fortement la valeur du yen face au dollar. C’est une place qui restera disputée, car dans quelques années, cette troisième place, en PIB nominal en dollars, est promise à l’Inde. Pourtant la situation allemande n’est plus aussi brillante que dans l’ancienne géopolitique.

Comme ce ne sont pas les idées qui mènent le monde (au grand dam des idéalistes ou de ceux qui confondent morale et politique), mais bien les événements concrets de la situation matérielle, la guerre Russie-Ukraine a donc rebattu les cartes. D’abord, il y a eu la perte de l’énergie bon marché du gaz russe à la suite de l’attentat contre les gazoducs Nord Stream 1 et 2 qui, avant leur destruction, permettaient la fourniture du gaz russe bon marché à l’Allemagne. Cette nouvelle donne géopolitique fait chuter la tête de pont commerciale germano-chinoise (la Chine est depuis longtemps le premier partenaire économique de l’Allemagne) !

La mauvaise décision du gouvernement Merkel sur le mix énergétique se rajoute aux difficultés actuelles de l’Allemagne. Il s’ensuit la volonté allemande de nouveaux investissements militaires pour satisfaire son hinterland européen et une pression accrue pour que ce soit les couches populaires des pays européens qui paient la note. Enfin, la contestation interne contre l’immigration souhaitée par le patronat allemand pour faire baisser les salaires est un autre élément important du moment.

Une situation économique en berne et sociale compliquée

Le PIB a reculé de 0,3 % en 2023. Les exportations ont reculé de 1,8 % durant l’année dernière. La consommation intérieure n’a pas pris le relais, car elle a diminué de 0,8 %. Les plans de licenciements se superposent : 6750 suppressions de postes chez l’équipementier automobile Continental, deux usines de l’équipementier automobile ZF appelées à être fermées pour délocaliser aux États-Unis et 3000 suppressions d’emplois chez l’équipementier Bosch. La chimie allemande a vu sa production baisser de 11 % en 2023 après une baisse de 10 % en 2022. BASF a déclaré qu’il fermera une partie de sa production. Miele, spécialiste de l’électroménager, va délocaliser en Pologne sa production de machine à laver.

Bureaucratie visée et souplesse par rapport à la dette

Au gouvernement, le ministre libéral des finances, Christian Lindner, déclare que « la situation est dramatiquement mauvaise » quand le ministre écologiste de l’économie, Robert Habeck, parle d’une situation « dangereuse sur le plan social ». Mais pour le premier, il faut tailler dans la bureaucratie des entreprises, tandis que le deuxième est favorable à desserrer le frein de l’endettement en soutenant le Conseil des sages formé par les cinq conseillers économiques du gouvernement qui veut revenir sur le vote du déficit maximum de 0,35 % du PIB.

Cette réforme propose que si l’endettement tombe en dessous de 60 % du PIB, un déficit budgétaire de 1 % soit permis au lieu de 0,35 %. Si la dette évolue entre 60 % et 90 % du PIB, le plafond du déficit serait de 0,5 %. Mais pour cela, il faut changer la Constitution avec deux tiers des voix au Bundestag. Mais 61 % de la population est hostile à ce plan ! L’industrie souhaite conclure un accord de libre-échange avec le Mercosur pour relancer ses exportations. Sur ce sujet la France est en opposition à cause de la concurrence déloyale contre son agriculture.

Une crise en Allemagne implique toujours une secousse électorale : scission à gauche

Trois sondages montrent que l’électorat n’est pas encore stabilisé. Un sondage du 21 janvier 2024 de l’Institut Wahlkreisprognose(1)Source : Europawahl : Neueste Wahlumfrage | Sonntagsfrage #epwahl (dawum.de). donne pour les européennes du 9 juin la CDU/CSU (droite) à 28 % et l’AFD (extrême droite) à 23 % !

Pour le gouvernement tricolore (coalition au pouvoir : SPD, Grünen, Libéraux), 9 % pour le SPD social-démocrate (on mesure le mécontentement de l’électorat, car les sondages donnaient 22,5 % fin février 2022 et 21 % mi-décembre 2022), 13 % pour les Grünen (écologistes pro-UE et pro-Otan) et 4,5 % pour les libéraux soit 26,5 % pour le gouvernement sans compter les désaccords orthogonaux au sein du gouvernement.

Quant à die Linke (La gauche) qui a sombré dans le wokisme et le primat du sociétal en marginalisant le social, il vient de subir un départ de dix députés (sur trente-huit) de la gauche dite radicale ; ces députés partent former un autre parti intitulé « Alliance Sarah Wagenknecht-Pour la raison et la justice » (BSW) et présidé par la députée Amira Mohamed Ali, cinquante-quatre ans, ce nouveau parti sera plutôt centré sur les questions économique et sociale. Le même sondage donne alors 3 % pour Die Linke et 7 % pour l’Alliance Sarah Wagenknecht (BSW). Un autre sondage fait par l’institut INSA pour Bild du 13 février 2024 donne la CDU-CSU à 27 %, l’AFD à 22 %, le SPD à 16 %, les Grünen à 10,5 %, les Libéraux du FDP à 3 %, Die Linke à 4,5 % et L’alliance Sarah Wagenknecht à 5,5 %(2)Source : Europawahl: Neueste Wahlumfrage | Sonntagsfrage #epwahl (dawum.de.), ce qui donne pour le gouvernement 29,5 %.

Le site Euractiv fait l’analyse suivante à la suite d’un troisième sondage du 8 février 2024 :

Après avoir quitté le parti de gauche traditionnel allemand Die Linke en octobre, l’Alliance Sahra Wagenknecht (BSW – Pour la raison et la justice) est entré dans les projections pour la première fois à la fin du mois de janvier avec trois sièges et est aujourd’hui susceptible d’en obtenir sept. La BSW devrait rejoindre le groupe de La Gauche (GUE/NGL) au Parlement européen, dans lequel se trouve également Die Linke, qui, selon les projections actuelles, n’obtiendrait que trois sièges, et le Parti de protection des animaux, qui devrait disposer d’un siège. Si la BSW rejoint effectivement le groupe, Mme Wagenknecht portera la représentation allemande au sein du groupe de La Gauche à 11 sièges, soit cinq de plus qu’en 2019 – le chiffre le plus élevé de l’histoire du Parlement européen. Le groupe de la Gauche devrait disposer de quarante-quatre sièges au sein de l’hémicycle après les élections de juin, soit seulement quatre de moins que le groupe des Verts/ALE, la sixième force du Parlement. Les sept sièges du parti de Mme Wagenknecht en feraient également le premier parti de La Gauche, devant le Sinn Féin irlandais et La France Insoumise (LFI), qui devraient obtenir six sièges chacun. Cela permettrait au nouveau parti de gauche allemand de prétendre à la direction du groupe — tout en laissant Die Linke dans une position délicate puisque son dirigeant, Martin Schirdewan, pourrait perdre la présidence du groupe.(3)Européennes 2024 : Marine Le Pen et Giorgia Meloni en tête des sondages, l’Alliance Sahra Wagenknecht gagne du terrain – Euractiv FR..

Pour les élections des trois Länder d’Allemagne de l’Est, après les grandes vacances, en Thuringe, Brandebourg et Saxe, les sondages créditent BSW respectivement de 17 %, 13 % et 8 % (dans ce dernier Land, elle devance les sociaux-démocrates et les Verts). Il faut noter que Sarah Wagenknecht (cinquante-quatre ans) est la compagne d’Oscar Lafontaine, l’ancien leader SPD de la Sarre et qu’elle défend sur l’immigration la même position que les sociaux-démocrates danois au pouvoir, à savoir de n’accepter que le droit d’asile comme motif d’immigration.

Rappelons que Karl Marx parlait des stratégies patronales de « l’armée industrielle de réserve » (les chômeurs) et de tous les moyens de division des travailleurs en augmentant la concurrence entre eux. Bernie Sanders aux États-Unis a fait campagne contre l’immigration non contrôlée. Aujourd’hui, le sujet de l’immigration divise la gauche.

Ce nouveau parti est proche de Cagé et Piketty sur l’État redistributeur avec des revendications d’augmentations fortes des salaires minimums et conventionnels. Elle est également pour la fin des livraisons d’armes à l’Ukraine et elle n’est pas favorable à la dérive fédérale de l’Union européenne et pour une Union de « démocraties souveraines ». Elle prône une alliance anti-libérale entre la classe populaire ouvrière et employée et les couches moyennes et fustige l’actuelle Die Linke qui est une « gauche essentiellement urbaine lifestyle 2.0 ».

Premier congrès du parti BSW

Dernier week-end de janvier 2024, au premier congrès de leur nouveau parti, la symbolique a été travaillée à l’intérieur de la plus grande salle de cinéma de l’Allemagne de l’Est, Le Kosmos, au 131, avenue Karl Marx. Habillée tout en rouge vif,Sarah Wagenknecht semble ravie lorsqu’on la compare à la marxiste Rosa Luxembourg. Dans son discours, elle a critiqué le gouvernement dit tricolore (sociaux-démocrates, verts et ultra-libéraux) comme le « gouvernement le plus stupide de toute l’Europe ». Elle a fustigé la droite CDU/CSU dont elle qualifie son leader, Friedrich Merz de « lobbyiste de BlackRock qui sillonne l’Allemagne en avion privé ». Elle a déclaré que son adversaire principal serait le parti d’extrême droite AfD en pleine expansion en Allemagne.

Elle a également fustigé les va-t-en-guerre de gauche qui estiment que lorsqu’on « prône la paix, on est estampillé d’extrême droite, quand on défend les fermes et les paysans, on est d’extrême droite […], quand on appelle à la limitation de l’immigration et qu’on s’inquiète des sociétés islamistes parallèles, on est d’extrême droite » alors que la gauche devrait plutôt promouvoir l’augmentation des salaires et des pensions et les protections des travailleurs et de leurs familles. Ce dernier thème fut repris par Oscar Lafontaine, quatre-vingts ans, qui ajouta que la création du parti BSW « comblait un vide » dans la vie politique allemande, car il fallait bien une formation de gauche pour la justice sociale « contre la guerre et la militarisation ».

Premières questions

Reste que les principes fondateurs de ce nouveau parti(4)Principes fondateurs du parti de Sahra Wagenknecht (agauche.org). sont peu explicites quant au modèle politique souhaité. La double besogne à savoir l’articulation des revendications immédiates avec un projet politique de moyen terme n’est même pas esquissée. Cela est dû au fait que la création de ce parti est le produit du traumatisme de la défaite historique de la gauche face au nazisme dans les années 30.

La forte montée de l’extrême droite allemande (AfD) pousse cette partie de la gauche à entrer dans une attitude frontiste contre cette forte croissance de l’extrême droite. Même si la stratégie politique n’est pour l’instant pas précisée, cela peut expliquer la prudente création par étapes de ce parti. ReSPUBLICA continuera dans les semaines et mois qui viennent à analyser ce qui se passe en Allemagne.