UKRAINE : L’AMÉRIQUE LATINE S’INTERROGE SUR LA STRATÉGIE DES ÉTATS-UNIS ET DE L’EUROPE

Cet article écrit par notre correspondant en Amérique latine, Lucho, est une collection de témoignages et de réactions représentatifs d’un point de vue partagé par de nombreuses personnes et acteurs dans ces régions et qui expriment une forme d’incompréhension quant à la situation en Europe.

Contexte : en Amérique latine, bon nombre de citoyens, de partis politiques, de syndicats ou d’associations se demandent pourquoi et comment le conflit russo-ukrainien a pu s’envenimer à ce point. Des questions se posent notamment quant à la pression exercée par les États-Unis sur certains pays latino-américains pour les faire entrer dans ce conflit.

Les lecteurs de Respublica trouveront ici quelques extraits, en vrac, des interrogations de militants de ces pays à ce sujet :

« L’Amérique latine ne doit pas s’engager dans le conflit Russie-Ukraine »

« Les États-Unis ont mis en place une stratégie à grande échelle dans les pays intégrant l’OTAN, et leur demandent de se séparer des armes acquises à la Russie. Ils ordonnent que ces armes soient envoyées aux Ukrainiens ! Mais de quel droit ? Ils ne pensent qu’à la guerre. »

« Depuis qu’a débuté l’opération militaire, l’Ukraine a employé principalement de l’armement russe qu’elle avait acquis jusqu’en 2014, date du coup de force de Maïdan. Récemment les États-Unis, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et la Pologne ont franchi une barrière psychologique et envisagent l’envoi de tanks de différents types pour se battre contre la Russie. Toutes ces décisions rappellent l’escalade de la Seconde Guerre mondiale. »

« La remise d’équipements d’infanterie à l’Ukraine est un signal sans équivoque, un pas vers la guerre. »

« Cet important mouvement d’armes vers l’Ukraine a vidé l’Europe des armes russes. Washington a promis de remplacer les armes d’origine russe données à Kiev. Tous les pays donateurs recevront des équipements similaires de fabrication américaine. Les Américains font de la guerre un énorme business et alimentent ainsi les lobbys militaires. »

« Washington frappe à la porte de l’Amérique latine »

« Après l’Europe, les États-Unis s’intéressent à l’Amérique latine. La cheffe du commando Sud des États-Unis, Laura Richardson, a demandé aux pays latino-américains de se débarrasser de leurs équipements militaires russes pour les envoyer à l’Ukraine. La Générale a précisé que ces armes seraient remplacées par des équipements américains. L’Amérique latine ne connaît que trop les Américains et l’appui qu’ils ont fourni au coup d’État dans notre région. Nous n’avons aucune confiance en eux ».

« Autre préoccupation : la haute hiérarchie militaire a fustigé la croissante influence de la Russie et de la Chine dans la région, envoyant ainsi un message aux pays en leur demandant de prendre parti. Les États-Unis s’ingèrent depuis des décennies dans les affaires intérieures de tous les pays d’Amérique latine, c’est une maladie incurable… »

« Brésil, Argentine, Colombie, Pérou, Bolivie, Cuba, Mexico et Venezuela possèdent des armes de fabrication russe. Le Venezuela est celui qui en possède le plus dans la région, dans diverses catégories : artillerie, infanterie, infanterie mécanique, défense aérienne, équipements de communication, système de positionnement géographique et aviation militaire. Washington souhaite vider la région des armes russes pour isoler la Russie du marché des armes latino-américain. Les États-Unis veulent garantir leur position de principal fournisseur d’armes sur la région.  En plus d’affaiblir militairement la Russie, ils souhaitent que se crée une fissure dans les relations que l’Amérique latine entretient avec la Russie. Ils rêvent ! »

« Le chancelier allemand Olaf Scholz s’est rendu récemment en Argentine et le thème de l’armement a été abordé lors d’une conférence de presse commune. Le président argentin Alberto Fernandez a indiqué que l’Argentine, et l’Amérique latine, ne pensent pas envoyer leur armement en Ukraine ni aucun autre endroit de conflit. »

« Le chancelier s’est aussi rendu à Brasilia (en envoyé spécial de Washington) pour y rencontrer le président Luis Inacio Lula Da Silva. Celui-ci a refusé catégoriquement la demande du gouvernement allemand d’envoyer des munitions pour des tanks à l’Ukraine. Il est clair que comme les États-Unis ont envoyé l’allemand Scholz, ils enverront ensuite le français Macron pour faire le même travail… »

« Lula a dit non, argumentant qu’il ne valait pas la peine de provoquer la Russie. Le Brésil se veut neutre pour des motifs économiques, et refuse de participer aux sanctions économiques contre la Russie. Lula fera tout pour trouver une voie de négociation, car la guerre n’est pas sa passion, contrairement aux Américains et aux Européens, avec leur manie de guerre mondiale. »

« De son côté, le président colombien Gustavo Petro assure qu’il n’enverra pas d’armes en Ukraine. La constitution nous ordonne la paix, insiste-t-il. Il est important de noter que la Colombie est l’alliée stratégique de l’OTAN dans la zone. Petro ajoute que le matériel en question aux mains de la Colombie n’est pas en bon état. La Colombie vient de vivre des décennies de guerre intérieure, et Petro mieux que d’autres sait combien il est important de rechercher la paix. »

Pourquoi l’Amérique latine ne doit pas céder des armes russes à l’Ukraine

« Les États-Unis pilotent depuis l’OTAN une croisade pour développer l’insécurité internationale et souhaitent entraîner l’Amérique latine comme une sorte de force d’appoint pour accélérer une instabilité prolongée. Après leurs menaces économiques, les États-Unis menacent le monde par les armes. »

« La demande des États-Unis faite aux pays latino-américains d’abandonner l’armement russe implique une participation, certes indirecte, mais participation tout de même, au conflit russo-ukrainien, et ceci est inacceptable. »

« L’OTAN s’active pour enrôler le plus grand nombre de pays possible dans le conflit avec la Russie. Il semble qu’il veuille une guerre intercontinentale, une stratégie qui ne peut qu’aggraver la sécurité internationale. »

« L’aide apportée à l’Ukraine par la livraison d’armes prolonge la guerre, donc l’instabilité qu’elle crée dans la chaîne de distribution d’énergie et de matières premières. Ceci a déjà eu un impact très significatif sur les prix des carburants, et donc sur les prix de production de l’alimentation. Cela concerne notre région, mais également l’Afrique. Les Américains se moquent du monde. »

« Des pays comme le Brésil, le Mexique et l’Argentine qui possèdent une production agricole importante et très mécanisée ont besoin de beaucoup de combustible et d’engrais, qui sont achetés (en tout cas pour le Brésil et l’Argentine) à la Russie. Ces pays ne vont pas ruiner leurs relations avec la Russie, et ils ne collaboreront pas au prolongement de la guerre. »

« La volonté américaine d’obliger les pays à envoyer de l’armement en Ukraine témoigne bien de leur façon de faire : ils l’imposent à l’Europe et souhaitent maintenant en faire de même avec l’Amérique latine. Le fait que les États-Unis s’imposent comme le principal fournisseur d’armes constitue un grand risque pour tous les pays, car s’ils cherchent le monopole et l’exclusivité, c’est pour faire de nous des vassaux. »

« Tous pays de la région doivent refuser de créer un précédent devant l’éventualité d’un conflit. Dans le cadre de la politique de sécurité régionale, les pays d’Amérique latine et des Caraïbes doivent s’organiser contre les politiques de restriction du matériel vendu par la Russie. Il faut que nos capacités de défense demeurent intactes. »

Réflexions de Lucho

Les amis que je vois et que j’entends me pressent de questions et ne comprennent ni l’attitude ni les décisions de la France et de l’Europe. En effet, vue d’Amérique latine, il ne fait aucun doute que l’agresseur est bien la Russie, mais il ne fait aucun doute non plus que les États-Unis, avec le bras armé de l’OTAN, ont dirigé la manœuvre. Ils ont installé en Europe, aux portes de la Russie, des forces, du matériel, des engins militaires alors qu’ils s’étaient engagés à ne jamais le faire.

Les Latino-américains qui n’ont pas connu de conflit de l’amplitude des deux guerres mondiales s’étonnent que l’on ne cherche pas à arrêter cette escalade suicidaire en faisant preuve de dialogue.

Vu d’ici, il semble que ce conflit n’est qu’un prétexte brandi par les Américains pour semer le désordre mondial. « Comme d’habitude », sous prétexte de vouloir sauver la paix, ils déclarent la guerre.

Les Latino-américains ne comprennent pas non plus cette Europe sans pouvoir de diplomatie, soumise aux États-Unis comme jamais, et se font beaucoup de soucis face à la tournure que prennent les événements. Beaucoup d’interlocuteurs me demandent comment il est possible que les États-Unis « colonisent » les pays européens et que ceux-ci obéissent sans broncher. D’autant que la volonté guerrière des Américains ne se limite pas à l’Ukraine, mais vise aussi l’Asie.

Le Brésilien Lula, le Mexicain Lopez Obrador, l’Argentin Fernandez ou le Colombien Petro sont convaincus que tout n’a pas été fait en matière diplomatique. Ils se sentent assez forts pour tenter cette voie-là, ouvrir des voies de négociation et cesser cette escalade à l’armement qui ne peut que très mal finir.