Néolibéralisation de l’école

Dans la bataille pour l’hégémonie culturelle indispensable pour se mettre à la hauteur des enjeux de l’émancipation humaine, il est crucial de mettre en lumière les conséquences sur l’école du mouvement réformateur néolibéral. Les citoyens et les familles attachent à l’école une grande importance car la qualité de l’enseignement qui est dispensé et le niveau que l’élève qui la fréquente peut atteindre, déterminent pour une grande part le passage des droits formels aux droits réels dans la vraie vie. Que la gauche de la gauche ne s’en préoccupe pas beaucoup est une des raisons de sa décomposition actuelle.

L’école est l’un des marqueurs de la république. Il y a un lien dialectique entre le niveau émancipateur de la république et le niveau d’autonomie de pensée et de formation critique donné à l’ensemble de la population par l’école. On peut même considérer que l’école n’est pas un simple service public mais un organe central du dispositif républicain. C’est encore plus vrai si on souhaite monter d’un cran et promouvoir la République sociale. Nous en sommes loin aujourd’hui.

Nous savons tous que les républiques populaires n’étaient en rien républicaines et qu’il en est de même aujourd’hui de la République islamique d’Iran. Mais qu’en est-il de notre Ve République ?

En elles-mêmes les institutions de la Ve République, depuis leur origine, ne répondent pas aux principes constitutifs d’une République sociale : la liberté, l’égalité, la fraternité, mais aussi la laïcité, la démocratie, la solidarité, la souveraineté populaire, la sûreté, l’universalité et le développement écologique et social.

Et aujourd’hui, que dire des 110 000 élèves qui sortent chaque année du système éducatif sans diplômes ni qualifications ? Que dire aussi de l’absence de « mobilité sociale », dans l’école publique comme dans la société, des couches populaires majoritaires? La mobilité sociale, qui désigne l’ensemble des changements de position des individus dans l’espace social, est estimée par leur position socioprofessionnelle, soit au cours de leur vie active (mobilité intragénérationnelle), soit d’une génération à l’autre (mobilité intergénérationnelle). L’échec est patent à l’école de la république.

Que dire des pouvoirs publics qui aggravent la ségrégation urbaine par une politique communautariste assumée ?

Que dire d’une société qui distribue davantage d’argent par élève à l’école privée confessionnelle qu’à l’école publique, alors que seule cette dernière peut prétendre devenir l’école de la république sociale ?

Que dire d’un candidat à la présidence de la République qui avait promis 60 000 enseignants nouveaux et qui n’a toujours pas dépassé 10 % de cette promesse ?

Que dire d’une « réforme des rythmes scolaires » dont le résultat est le remplacement fréquent d’enseignants par des animateurs qui ne sont pas tous titulaires du BAFA et la fin de la gratuité des activités dans 40 % des cas ?

Que dire de la confection de nouveaux programmes d’enseignement dont le but est d’empêcher le développement d’un esprit critique ?

Que dire d’une école qui a supprimé à la fin du siècle dernier la liberté pédagogique des enseignants chargés de transmettre les connaissances, en leur imposant un pédagogisme visant à formater la jeunesse ?

Que dire aujourd’hui du développement par le « mouvement réformateur néolibéral » d’une « école des compétences » définie par le patronat, au lieu d’être un lieu de construction du futur citoyen émancipé des pouvoirs constitués et capable d’esprit critique argumenté?

Il faut se réjouir que ces « réformes » soient l’objet de résistances multiformes et insistantes des enseignants mais aussi de nombreux citoyens. C’est le cas aujourd’hui, de façon profonde et persévérante, de la « réforme du collège ». C’est pourquoi ReSPUBLICA propose dans ce numéro une analyse critique développée de la nouvelle « réforme » des collèges qui montre comment cette nouvelle contre-réforme s’insère méthodiquement dans le modèle politique néolibéral dans l’intérêt du capital et de l’oligarchie néolibérale. Jean-Noël Laurenti, membre de notre comité de rédaction, « décortique » cette « réforme » pour armer les citoyens éclairés et les militants dans cette gigantesque bataille culturelle dans laquelle nous sommes engagés.
Bien évidemment, nous continuerons dans les semaines et les mois suivants à proposer d’autres dossiers sur l’école. Osons nous répéter et disons qu’il ne peut y avoir d’émancipation humaine sans une refondation d’une école laïque et républicaine dans le cadre d’une nouvelle République sociale.