Comprendre la crise économique, sociale et politique mondiale – deuxième volet

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L’article qui suit est le deuxième volet d’une série en trois volets. Il fait suite au premier volet qui démarrait sur deux éclairages : d’abord, une vision holistique et stratégique indispensable pour retrouver le chemin de l’émancipation face à l’ensemble des fausses bonnes idées, puis une première analyse du système commercial mondial, car dans le rapport des forces mondial, c’est bien « l’économique et le social qui sont déterminants en dernière instance ».

 

Dans ce deuxième volet, nous prenons acte, comme le disait Friedrich Engels, que « nous ne pouvons pas faire bouillir les marmites de l’avenir » et que dans cette incertitude, il est nécessaire de montrer différents scénarii possibles, tant pour les pays à excédents trop importants que pour les pays à déficits trop importants, le tout en fonction de leur environnement ordolibéral ou pas, de leur système économique et politique.

 

Il conviendra, bien sûr, in fine, de revenir sur la théorie la plus solide possible qui permettrait le bouclage économique et politique de cette géopolitique concernée par les différents volets de ce sujet, avec tous les autres aspects que le seul commerce international lui-même. Nous commençons par le système commercial mondial, car c’est la partie du tout qui est la moins bien traitée par ce qui constitue la gauche aujourd’hui. Et qui l’empêche d’appréhender le réel avec précision.

Quels sont les scénarii pour les pays à forts excédents commerciaux ?

Nous avons vu dans le premier volet de notre étude que les pays à fort excédent commercial avec des PIB industriels élevés sont les pays, dans un environnement donné (qui peut être plus ou moins stable), dont les ménages gagnent trop peu pour absorber les biens et les services qu’ils produisent ou dont l’épargne intérieure dépasse significativement le montant de l’investissement productif nécessaire.

L’idéal consiste alors à augmenter les revenus des ménages par le revenu primaire (les salaires) ou par le revenu secondaire (les revenus de substitution financés ou non par le salaire socialisé) pour que la consommation interne puisse s’aligner sur la production. Alors, ce mécanisme augmente l’investissement productif et le surplus sert à la consommation. C’est ce que tente la Chine avec son projet de « double circulation »(1)Voir ce concept dans l’article de Wukong..

Mais cette redistribution des revenus est difficile politiquement, car elle nécessite une politique globale pour assurer le bouclage économique, notamment parce qu’elle requiert un processus d’annulation progressive des subventions qui ont généré la croissance progressive de la production : en effet, il faut alors que la productivité du travail progresse d’autant, d’une façon ou d’une autre, et ce sans compter sur les rigidités idéologiques des fausses bonnes idées des gouvernants, des acteurs économiques et des militants. Et cela implique aussi une planification économique nationale.

Cinq autres options sont utilisées, mais elles ont toutes des inconvénients majeurs. La deuxième solution utilisée est de stimuler les investissements nationaux dans l’immobilier, dans les infrastructures et dans l’industrie, même si ce n’est pas nécessaire pour le bouclage économique entre consommation et production et entre épargne et investissement. L’Union soviétique et le Brésil s’y sont essayés dès la fin des années 60 et durant les années 70, de même que la Chine depuis une quinzaine d’années avec des échecs conséquents, souvent parce que ces investissements ne sont pas productifs et qu’ils génèrent des pertes croissantes, voire une dette insoutenable.

La troisième solution antisociale primaire est de supprimer la production excédentaire par la mise au chômage des travailleurs estimés en surnombre.

La quatrième solution est de diminuer les taux d’intérêt pour accroître la masse monétaire des consommateurs par la dette privée des ménages qui consommeraient plus, toujours par l’augmentation de la dette ; cette dernière peut être contractée par l’État dans la cinquième solution. Dans ces deux derniers cas, la soutenabilité de la dette, privée dans un cas, publique dans l’autre, peut devenir insoutenable.

La dernière solution est d’externaliser le déséquilibre en exportant les excédents commerciaux vers ses partenaires, comme la Chine achetant la dette des États–Unis par exemple. Mais si nous vivons un changement géopolitique majeur comme celui qui a démarré avec la guerre d’Ukraine, nous voyons l’ex-couple américano-chinois se détruire petit à petit et nous entrons dans un processus de diminution de la possibilité de cette solution.

Quelles sont les solutions pour les pays en déficit ?

Ils peuvent soutenir de manière agressive leurs industries et tenter de répercuter leurs coûts sur leurs partenaires. La conséquence est une crise internationale de surproduction ou de sous-consommation. C’est la concurrence entre impérialismes que nous voyons sous nos yeux.

Ils peuvent se retirer du régime commercial mondial avec d’autres pays amis dans une union. La meilleure situation est alors des économies de même niveau pouvant travailler avec des avantages comparatifs et non avec des avantages concurrentiels ou avec un processus de plan Marshall interne pour lutter contre les inégalités de toutes natures(2)Voir le premier volet de cette étude..

Cela revient à empêcher les pays excédentaires d’externaliser les excédents dans les pays déficitaires. C’est la meilleure des solutions : soit par des tarifs douaniers pour les marchandises par rapport aux conditions environnementales et sociales (moins pour éviter l’effet dumping), soit par des taxes pour les transferts de capitaux avec des restrictions aux pays excédentaires pour écouler leur épargne en surplus, soit les deux, ce qui est souvent la meilleure des solutions ! Mais dans ce cas, il faut être majoritaire contre les néolibéraux et éviter l’ordolibéralisme.

Ils peuvent accepter une dette croissante, un chômage croissant ou accepter le recul de leur industrie. Cette solution étant bien sûr la pire pour des républicains sociaux soucieux d’auto-organisation !

Quels sont les effets d’un afflux de capitaux étrangers dans un pays déficitaire ?

Il est à noter que les afflux de capitaux étrangers dans un pays n’entraînent pas forcément une augmentation des investissements. Par exemple, des injections de capitaux dans une économie avancée n’augmenteront pas les investissements si dans ce pays il n’y a pas de rareté des capitaux. Cela peut même diminuer les investissements nationaux dans le cas d’une limite de la demande, à l’instar des États-Unis. Dans ce dernier cas, les investissements étrangers ne sont là que pour le bouclage financier du pays. La faiblesse des États-Unis réside d’ailleurs dans le fait qu’une nouvelle géopolitique peut les mettre en difficulté, ce qui peut se produire vu la nouvelle géopolitique qui a été souhaitée, mais dont les conséquences n’avaient pas été prévues. Tout dépendra aussi de la réussite ou non de la politique de « double circulation » en Chine qui a pour but l’augmentation des salaires par un processus lent, mais coordonné(3)Voir l’article de Wukong cité plus haut..

Ce que Michael Pettis nous explique c’est que : « Ce n’est pas parce que les États-Unis ont besoin de capitaux étrangers, mais plutôt parce que des étrangers ont besoin d’un endroit sûr pour absorber leur épargne excédentaire. Tant que des étrangers préfèrent acquérir des actifs américains en échange de leurs excédents et sont capables de forcer les États-Unis à afficher un excédent net de leur compte de capital, les États-Unis devront enregistrer un déficit de leur compte courant… Cela se produit principalement parce que, plutôt que de financer des investissements supplémentaires, les entrées de capitaux étrangers font baisser le taux d’épargne américain ». Michael Pettis explique le processus : 

Alors que l’économie américaine voit ses importations augmenter par rapport à ses exportations, une partie de la demande autrefois dirigée vers les usines nationales est désormais détournée vers les usines étrangères, sans augmentation compensatoire de la demande étrangère de biens et services produits aux États-Unis, et les usines réagissent donc en installant des hors des travailleurs.

Parce que les chômeurs doivent encore consommer, la production diminuera plus vite que la consommation, ce qui réduira automatiquement le taux d’épargne. Les travailleurs salariés ont tendance à avoir des taux d’épargne positifs, tandis que les chômeurs ont des taux d’épargne négatifs. Dans ce cas, les États-Unis s’ajustent en augmentant le chômage.

Mais dans la mesure où Washington intervient pour empêcher la hausse du chômage, il le fait généralement de deux manières. Premièrement, Washington peut accroître le déficit budgétaire et utiliser l’augmentation des dépenses pour stimuler la demande dans l’économie. Cette expansion de la dette équilibre automatiquement l’augmentation de l’épargne étrangère entrant dans l’économie en réduisant l’épargne intérieure (la dette est une épargne négative.).

Deuxièmement, la Réserve fédérale peut abaisser les taux d’intérêt et accroître la masse monétaire pour encourager les banques à accroître la dette des ménages, que ces derniers utilisent à leur tour pour accroître leur consommation. Cela permet à la consommation de revenir aux niveaux nécessaires pour soutenir la production existante, mais au lieu d’être financée par le revenu des ménages, elle sera financée par la dette des ménages. Ce processus est souvent exacerbé par les bulles immobilières ou boursières déclenchées par la combinaison de la baisse des taux d’intérêt américains et les achats étrangers d’actifs américains. Dans ce cas, une hausse temporaire des prix des actifs peut encourager davantage l’endettement des ménages et la réduction de leur épargne.

Le fait est que les entrées nettes de capitaux étrangers doivent soit entraîner une hausse de l’investissement, soit une diminution de l’épargne, et les façons dont elles entraînent une baisse de l’épargne impliquent généralement une combinaison d’une hausse du chômage, d’une dette plus élevée des ménages ou d’un déficit budgétaire plus élevé. Les entrées de capitaux étrangers qui En d’autres termes, faire baisser le taux d’épargne d’un pays est toujours mauvais pour l’économie.

La plupart des études sur l’impact des déficits commerciaux sur l’économie américaine ne sont cependant pas en mesure de le démontrer, car elles supposent que le seul impact négatif possible est une augmentation du chômage. Lorsqu’ils ne constatent pas cette hausse, ils concluent que le déficit n’a pas d’impact négatif. Mais si l’impact sur le chômage est atténué par une augmentation de la dette des ménages ou du déficit budgétaire, comme c’est généralement le cas aux États-Unis, l’impact négatif du déficit sur l’économie ne se reflétera pas dans les chiffres du chômage. Cela se traduira par une augmentation de la dette et une érosion de la part du secteur manufacturier dans le PIB américain. 

Suivra la semaine prochaine le troisième et dernier volet de ce sujet. Nous verrons alors que la comparaison uniquement des salaires des différents pays est insuffisante pour étudier les rapports commerciaux entre les Etats.

Nous verrons également, en prenant un exemple concret, que les deux réactions suite à l’importation d’un produit moins cher dans un pays déficitaire, à savoir que les uns sont contents parce que les consommateurs achètent moins cher et que les autres sont hostiles parce que cela mettra en difficulté les entreprises fabricant ce même produit dans le pays importateur, ont beau avoir raison toutes les deux, elles ne permettent pas de résoudre de façon idéale le problème des rapports commerciaux.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Voir ce concept dans l’article de Wukong.
2 Voir le premier volet de cette étude.
3 Voir l’article de Wukong cité plus haut.