Précédents numéros : dernière phase du capitalisme « classique »
Dès les premiers numéros, nous avions émis l’hypothèse de la fermeture du pli historique ouvert au 16e siècle avec l’éclosion du capitalisme comme mode de production.
En 17 ans d’édition de notre série d’articles « Dans quelle crise sommes-nous ? », ce pari intellectuel d’assister aujourd’hui à la dernière phase du capitalisme « classique » s’est vérifié à plusieurs reprises au fil du temps. D’une crise financière en 2007-2008, dite des subprimes-Lehman, nous sommes passés à une crise globale, économique, industrielle, écologique, idéologique et politique.
Déclin de l’Empire américain
Mais, depuis janvier 2025, une nouvelle étape spectaculaire a été franchie avec l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche. Sous nos yeux, l’Empire américain se désarticule. D’un lent déclin progressif, nous venons de passer à une accélération foudroyante.
Le président américain sature l’espace médiatique avec des propos grossiers et peu cohérents qui vont toutefois tous dans le sens d’un repli isolationniste des États-Unis.
Dans cette nouvelle conjoncture, il est d’ailleurs remarquable de constater la similitude des discours sur le fond, mais bien sûr non sur la forme, entre Trump en 2025 et Gorbatchev à partir de 1985. Certes, Gorby était un homme poli, rien à voir avec les propos orduriers de l’actuel occupant de la Maison-Blanche. Mais les justifications du renoncement à l’Empire de l’URSS étaient finalement les mêmes il y a 40 ans : « l’intervention en Afghanistan nous coûte trop d’hommes », « Cuba nous coûte trop cher », « les démocraties populaires d’Europe de l’Est vivent aux crochets de l’URSS ». En 2025, dans un langage certes plus fleuri, Trump tient en gros le même discours : « l’Union européenne a été créée pour escroquer les États-Unis », « le Japon nous vole depuis des années », « nous payons pour protéger militairement l’Europe », etc.
Périphérie de l’Empire vs périphérie
En fait, c’est la même justification en forme de constat : la périphérie de l’Empire sucerait le sang de l’État central impérial. Ces discours à usage essentiellement interne n’ont aucune réalité objective. L’organisation monétaire et financière de l’Empire américain est une spoliation mondialisée permanente au profit de Washington. Mais ils permettent de justifier l’impensable, c’est-à-dire le renoncement volontaire d’une puissance dominante à son hégémonie mondiale. Comme hier l’URSS, aujourd’hui les États-Unis sont arrivés au point de ne plus pouvoir supporter leur leadership planétaire et les responsabilités économiques, financières, politiques et culturelles qui vont avec.
Pourquoi l’oligarchie américaine s’est-elle rangée derrière Trump ?
Le trumpisme est un capitalisme « exagéré », un capitalisme de dernière période décadente, dirigé par un chef de famille presque officiellement corruptible et corrompu :
- don d’un avion par le Qatar,
- participation financière de l’Arabie saoudite aux sociétés de la famille de Trump, achat de la cryptomonnaie créée par le président en exercice par les Émirats arabes unis,
- Trump s’enrichit à vue d’œil et devient un multimilliardaire avide et prédateur.
Cela ressemble presque à une grossière caricature d’ultra-gauche des vices du capitalisme, d’un capitalisme « exagéré ».
Une question se pose : pourquoi l’oligarchie capitaliste américaine a-t-elle choisi de soutenir cette dérive politique ? Pourquoi sa pointe offensive en particulier, c’est-à-dire le high-tech, s’est-elle rangée comme un seul homme derrière ce politicien de reality-show sur le retour ?
Renoncement face à la Chine et oligarchie préservée
Trump est l’expression politique de cette stratégie régressive, une stratégie de confinement, volontairement perdante sur le plan de l’influence sur le monde, mais qui préserve les intérêts oligarchiques à l’intérieur des frontières des États-Unis.
En fait, l’oligarchie n’avait pas le choix. Les comités stratégiques des grands monopoles savent très bien que les « dés sont jetés », et que la Chine prendra la main à moyen ou long terme. Plutôt que de relever le gant, et d’engager des moyens financiers considérables pour tenter de contrer l’émergence chinoise, elle préfère organiser méthodiquement le repli yankee en protégeant son pré carré national et en assurant sa survie. Replier les voiles permet d’éviter de sombrer lors d’une trop forte tempête. L’oligarchie américaine ne croit plus à l’hégémonie mondiale américaine à terme. Trump est l’expression politique de cette stratégie régressive, une stratégie de confinement, volontairement perdante sur le plan de l’influence sur le monde, mais qui préserve les intérêts oligarchiques à l’intérieur des frontières des États-Unis. Par contre, aucune homogénéité idéologique réelle n’existe entre Trump et l’oligarchie, c’est une alliance friable et de circonstance. Le divorce à grand fracas et insultes entre le Président américain et Elon Musk en est la preuve.
La perte de la « masse musculaire » industrielle américaine
Le ver était dans le fruit depuis l’annonce de la fin de la convertibilité dollar-or de 1971 par le président Nixon. En une cinquantaine d’années, les États-Unis sont passés du stade d’une immense puissance industrielle à celui d’une nation en déclin. Cela est particulièrement visible lorsque l’on regarde la structure de sa balance commerciale. Les exportations américaines ressemblent de plus en plus à celles d’un pays en développement : pétrole et gaz de schiste, produits agricoles céréaliers ou bœufs du Texas. Les produits industriels classiques à l’export sont concentrés sur les activités où les États-Unis sont en quasi-monopole, par exemple les turbines à gaz.
Bien sûr, la puissance étatsunienne garde encore de beaux restes, en particulier dans le domaine aéronautique, mais pour combien de temps ? Les difficultés de la chaîne de fabrication de Boeing en sont l’illustration. Dans ce domaine, la concurrence se fait rude, tant en Europe avec Airbus que maintenant en Chine. Seule demeure la puissance de l’industrie militaire et du high-tech. Mais, insensiblement, les Étasuniens sont passés d’une domination totale dans les années 1990 et 2000 à une situation de mise en concurrence également sur ces créneaux, avec comme exemple d’actualité le secteur de l’intelligence artificielle (IA), où la Chine commence à développer un écosystème high-tech d’une grande qualité opérationnelle(1)Voir notre article La bataille planétaire dans les technologies critiques – ReSPUBLICA..
Armes des taxes : rodomontades et reculs en cascade
Pour officiellement inverser cette tendance fondamentale de déclin, Trump a décidé de « renverser la table » depuis mars dernier avec son ineffable « jour de l’indépendance » et sa tentative d’imposer des droits de douane phénoménaux à l’ensemble de ses partenaires commerciaux. Après un krach boursier qui risquait de dégénérer en crise financière en faisant exploser le taux de la dette américaine, le locataire de la Maison-Blanche a dû reculer en catastrophe, du moins pour un temps. Car la Chine, puis le Japon et l’Inde, ont vendu une masse d’obligations de la dette américaine qu’ils possédaient. Seule, la Chine a finalement été frappée par des droits de douane à 125 %. Mais, cette fois, Pékin a répliqué avec vigueur et a égalisé ses droits de douane pour les produits US avec ceux pratiqués par Washington. Cette action vigoureuse de Xi Jinping est une nouveauté depuis un demi-siècle : la puissance asiatique se sent aujourd’hui suffisamment forte pour rendre coup pour coup. Finalement, Trump a reculé en réduisant les droits de douane à 30 %, pendant que les Chinois imposaient 10 % de droits d’entrée aux produits américains.
Le mythe de la réindustrialisation
Ainsi, médiatiquement, Trump aurait trouvé la recette miracle pour réindustrialiser les États-Unis : le retour au mercantilisme suranné du 18e siècle ! Derrière le brouhaha permanent, la tentative est vaine. Et pour démontrer cette affirmation, il faut revenir aux sources du compromis historique entre les États-Unis et la Chine du temps de Nixon et de Deng Xiaoping dans les années 1970. En effet, pourquoi cet accord était-il indispensable aux Américains ?
Du compromis des années 1970 avec la Chine…
Rappelons tout d’abord que l’alliance industrielle et commerciale entre les États-Unis et la Chine dans les années 1970 et 1980 est un processus souhaité au départ par Washington davantage que par Pékin. Il s’agissait pour les Étasuniens de sortir d’une terrible crise de déclin économique, politique et militaire. Souvenons-nous de la défaite US au Vietnam, de la perte pour l’Occident de nombreux pays d’Afrique, de la chute du Shah d’Iran… Sur le plan monétaire, le dollar a connu une très forte dépréciation au milieu des années 1970, après la décision du président Nixon de supprimer la convertibilité du dollar en or au cours fixe de 35 dollars l’once.
L’exploitation presque inhumaine des masses laborieuses chinoises fut le « baume de jeunesse » du capitalisme étasunien pour un demi-siècle.
Dans cette décennie, de nombreux secteurs industriels étaient en déshérence, comme l’automobile. Bref, une terrible crise de baisse du taux de profit menaçait les États-Unis dans leur hégémonie mondiale. Une sorte de « New Deal » stratégique s’imposa : il fut basé sur une externalisation cachée de la classe ouvrière américaine en… Chine. Une nouvelle division mondiale du travail fut mise en place grâce à l’accord avec le Parti Communiste chinois (PCC). L’exploitation presque inhumaine des masses laborieuses chinoises fut le « baume de jeunesse » du capitalisme étasunien pour un demi-siècle. Le taux de profit yankee repartit à la hausse.
… au revirement trumpiste de 2025
Or, en 2025, Trump veut soi-disant réindustrialiser la mère patrie ! C’est-à-dire logiquement qu’il souhaite recréer de toutes pièces une classe ouvrière étasunienne. Une sorte de « retour vers le futur », comme le sous-entend le slogan trumpiste « Make America Great Again » ! Mais, dans cette utopie passéiste, quel serait le niveau de salaires des ouvriers, contremaitres, ou ingénieurs américains ? Le même que celui pratiqué en Chine, au Vietnam, en Inde ? C’est impossible, surtout dans les laboratoires de R&D ou dans le high-tech, car les différences de rémunération sont justement encore plus importantes à qualifications égales. Donc, cette option serait un véritable suicide pour le capitalisme américain.
D’ailleurs, dès l’annonce de l’imposition de droits de douane faramineux par Trump, l’oligarchie capitaliste a mis le holà et soutenu la riposte immédiate et vigoureuse d’Elon Musk. Celui-ci a dénoncé ce « mercantilisme du 21e siècle » en insultant copieusement le conseiller de Trump, Peter Navarro, à l’initiative de ces mesures, semble-t-il. Musk sait très bien, car il le pratique lui-même, que l’industrie étasunienne ne « produit » presque plus rien, mais « assemble » des productions venant du monde entier pour en faire des objets technologiques « made in USA ». Par exemple, Tesla est plus un assembleur qu’un fabricant de voitures : le moteur, les batteries, les accessoires, bref, presque tout vient d’Asie.
Par ailleurs, une réindustrialisation impliquerait que le système éducatif américain « produise » des ouvriers qualifiés, des ingénieurs, des scientifiques industriels, etc. Or, le naufrage de l’éducation nationale, primaire, secondaire et supérieure est patent depuis une trentaine d’années. Par rapport à la Chine, au Japon ou même à l’Allemagne, les États-Unis sont bien incapables de rivaliser dans l’éducation et la qualification de la classe ouvrière qui produit la valeur au sens large du terme.
Dans le duel avec la Chine, les États-Unis décrochent
L’oligarchie étasunienne constate que la Chine prend la main dans la plupart des domaines industriels, high-tech et même progressivement militairement.
La réaction de Trump est le soubresaut d’un animal blessé. En fait, l’oligarchie étasunienne constate que la Chine prend la main dans la plupart des domaines industriels, high-tech et même progressivement militairement.
Le président des États-Unis est en retard d’une guerre. Pour avoir une chance de vaincre, les États-Unis auraient dû passer à l’attaque contre l’empire du Milieu il y a au moins quinze ans ! En 2025, les jeux sont faits : les Chinois sont dans une dynamique hégémonique que seule la guerre pourrait arrêter. Mais les États-Unis seraient-ils certains aujourd’hui de l’emporter ? La piteuse opération aérienne de l’US air Force en avril et mai de cette année contre les Houthis du Yémen en est la preuve. Incapable de neutraliser ces nouveaux pirates des temps modernes, Trump en a été réduit à signer une « paix des braves » en propulsant les « braves Houthis » (dixit) en alter ego de la puissance hégémonique américaine. En constatant cette « sous-puissance » militaire, l’état-major de l’Armée Populaire de Libération (APL) chinoise doit bien ricaner ! En cas d’invasion de l’île de Taïwan, l’US Navy aura affaire à un ennemi d’un autre calibre que les farouches tribus montagnardes du Yémen !
Faiblesse militaire des États-Unis
Les États-Unis sont-ils en mesure de vaincre dans une guerre en Asie contre la Chine populaire qui menace sa place de puissance planétaire ? Rien n’est moins sûr pour un pays qui a perdu toutes ses guerres au sol depuis le conflit coréen au début des années 1950. D’ailleurs, Trump semble avoir peur de la guerre. Même lors de son premier mandat à la Maison-Blanche et sa négociation avec la Corée du Nord, son jeu est apparu finalement assez répétitif : des menaces d’apocalypse, puis des négociations qui finalement montrent un recul de la puissance américaine. Trump craint la guerre avec l’Iran, avec lequel il est entré en négociation sur son droit au nucléaire. Il craint aussi la guerre en Europe contre la Russie, et il enchaîne les concessions à Poutine.
Il a même peur des guerres où les États-Unis ne sont pas directement impliqués. L’exemple symptomatique de cette attitude de retrait est visible lors de la récente confrontation entre l’Inde et le Pakistan. Le président étatsunien a immédiatement proposé des droits de douane accommodants aux deux belligérants en échange d’un cessez-le-feu immédiat. Bref, sur toutes les zones de conflit, tout plutôt qu’une confrontation militaire. Washington se retrouve un peu comme l’URSS à la fin des années 1980, quand Moscou ne « pouvait plus suivre » la course technologique que lui imposaient les États-Unis. Au bout de 5 ans de pérestroïka ou de glasnost, Moscou a dû jeter l’éponge et laisser l’Amérique libre imposer sa domination mondiale, Chine exclue.
Force de Pékin
Car la Chine populaire ne va certainement pas en rester là. Elle prend en compte cette visible faiblesse militaire objective et subjective et elle durcit le ton. Xi Jinping est de plus en plus explicite sur une intervention militaire à Taïwan, en particulier lors de la cérémonie du 9 mai dernier à Moscou pour le 80e anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie. À trop reculer dans les cordes, on encourage son adversaire à attaquer.
Aujourd’hui, Trump n’a aucun nouvel ordre mondial à proposer, hormis le fait de se retirer à l’intérieur de ses frontières dans une vision crypto-autarcique. Mais, ne plus vouloir participer au « Grand Jeu » mondial ne veut pas dire que ce « Grand Jeu » a disparu pour autant. Le développement des partenariats, en particulier en Asie, comme celui entre l’Inde et la Chine, ou le renouveau des relations économiques Chine-Japon, sans parler des relations stratégiques de cette dernière avec la Russie, ou encore les ouvertures de l’empire du Milieu avec l’Arabie saoudite, en sont les preuves flagrantes. L’aigle étasunien replie ses ailes.
Crise du capitalisme et montée des affrontements militaires
Initialisée en 2007-2008, la crise du capitalisme tardif généralise progressivement la guerre sur la planète. L’entrée dans la bataille ce 22 juin 2025 des États Unis contre l’Iran en est une nouvelle preuve. Les contradictions du mode de production capitaliste aboutissent maintenant et de manière systématique à un affrontement militaire. L’espace géographique de la guerre s’étend au fil du temps, hier en Europe, aujourd’hui au Proche-Orient et certainement demain en Asie. Nous entrons dans une « zone de tempête » dangereuse pour les peuples. Elle surdétermine les positions de tous les acteurs politiques à travers le monde.
La fin du dollar « monnaie Monde », une montagne de dette
La remise en cause de l’hégémonie actuelle du dollar est la conséquence directe de la crise de 2007-2008 dite des Subprime-Lehman. Notre série d’articles annuels « Dans quelle crise sommes-nous ? » a commencé à cette époque.
Après la fin du communisme soviétique au début des années 1990, le capitalisme US a régné sans partage pendant 17 ans. La tentative presque utopique de construire un capitalisme de marché mondialisé sous la direction des États-Unis s’est effondrée finalement très rapidement. La crise de 2007-2008, bancaire, financière et monétaire n’a jamais été surmontée. Pour la planète finance, ce fut un véritable AVC. Car c’est Wall Street, la tête du système financier international, qui a été touché en premier lieu. L’incendie financier foudroyant a simplement été surmonté et noyé par un océan de monnaies factices de dizaines de milliers de milliards de dollars. Cette inondation a un nom en forme d’euphémisme : les célèbres « Quantitative easing », ou en français « Assouplissement Quantitatif ». Il s’agit pour les banques centrales occidentales de racheter la dette de leur pays avec de la monnaie émise sans contrepartie de valorisation ; bref c’est l’émission d’une monnaie de singe légale.
Sans vraie valeur objective, le dollar en est arrivé à avoir une sorte de « valeur subjective ». L’étalon monétaire universel a gardé la confiance des acteurs monétaires et financiers uniquement par le simple fait de la puissance politique et militaire des États-Unis. La dette américaine a continué, au cours des années 2010 et au début des années 2020, à rester la valeur tangible de dernière instance, particulièrement en cas de crise aiguë. Or, lorsque Trump a déclenché son offensive sur les droits de douane début 2025, tout s’est effondré pour la première fois depuis 1971 et la fin de la convertibilité or-dollar. Le monde financier a repoussé la dette américaine, un comportement inouï. Visiblement, la Maison-Blanche n’avait pas prévu ce scénario et s’est retrouvée en plein désarroi… Et Trump a reculé. À ce jour, que vaut exactement le dollar, sinon une montagne de dettes estimées à 36 220 milliards de dollars ?
Vers l’éclatement de la bulle monétaire ou vers la guerre généralisée pour l’éviter ?
Face à la constatation que l’étalon universel-dollar ne vaut pas grand-chose hormis ses dettes monstrueuses, que peut-il advenir, sinon une crise de valorisation globale et donc une impossibilité de transformation de la Valeur en Prix ?
Déjà, de nombreux pays à travers le monde commercent en monnaies nationales, en particulier lorsqu’il s’agit de partenariat avec la Chine populaire. Par ailleurs, comme nous l’avons vu, de plus en plus de banques centrales se délestent des obligations américaines. La crise monétaire marquant la fin du « Roi dollar », sa perte d’hégémonie est certaine, seul le moment du point de bascule est inconnu.
Un scénario existe cependant pour préparer une transition. C’est une hypothèse risquée, mais possible. Imaginons que surgisse un événement suffisamment grave pour provoquer un blocage du marché international obligataire. Si une guerre survient en Asie avec une participation de l’US Army, les remboursements des emprunts à 5, 10 ou 50 ans seraient suspendus sine die. Les marchés de la dette primaire ne fonctionneraient plus dans ce cas de figure. Les dettes américaines seraient « sanctuarisées » en quelque sorte, en tous les cas pendant la durée du conflit. Cette stratégie de guerre pour éviter la crise monétaire mondiale aurait l’immense avantage pour le capitalisme étatsunien d’étaler la crise comme la transition monétaire indispensable sur plusieurs années. Ainsi serait évité un choc paroxysmique pouvant advenir sans contrôle en quelques heures ou en quelques jours. Les dettes américaines seraient gelées et une transition monétaire pourrait se mettre en place progressivement et de manière très directive, état de guerre oblige. Pour que ce scénario soit réaliste, encore faut-il qu’un autre système monétaire de substitution existe déjà pour que la transition s’opère de manière satisfaisante… Et aujourd’hui c’est le cas, l’alternative monétaire existe, elle s’appelle bitcoin !
L’étalon bitcoin à la place de l’étalon dollar
Dans notre série d’articles « Dans quelle crise sommes-nous ? » depuis 17 ans, nous sommes revenus à de nombreuses reprises sur le développement de cette cryptomonnaie (par exemple dans les numéros 16, 11, 10, 6 et 2). Nous avons expliqué l’année dernière (numéro 16) que cette blockchain est en fait totalement contrôlée par les États-Unis, qui possèdent le code source, brevet de la NSA.
Force est de constater que nous avions raison de considérer la création en 2009 de cette monnaie cryptographique d’un nouveau type comme un événement de première importance. Lancée juste après la crise financière des Subprimes-Lehmann, ce projet d’étalon universel mettra au minimum une vingtaine d’années pour devenir une réalité alternative au dollar. Mais ne nous y trompons pas, le bitcoin est bien une seconde monnaie étatsunienne. La gestion de la substitution du dollar vers le bitcoin risque d’être problématique, car l’adoption de cette cryptomonnaie affaiblit paradoxalement la devise historique yankee, en particulier sur le « marché gris » des pays en développement. Davantage de transactions en bitcoin impliquent moins de transactions en dollar. Donc, celui-ci s’affaiblit et risque de provoquer une crise sur la dette. Il est donc possible, comme nous l’avons vu plus haut, que la guerre généralisée soit aussi nécessaire en bloquant la dette US pour faciliter cette transition monétaire.
Contrer l’Euro pour protéger le dollar et permettre une transition calme vers le bitcoin
Donc, permettre une transition sereine vers le bitcoin exige que le dollar ne s’effondre pas d’un coup, trop violemment. Une nécessité impérieuse qui oblige à renforcer certaines alliances, par exemple entre les États-Unis et les pétromonarchies du Golfe. Une certaine « tranquillité monétaire », même provisoire, exige un accord avec les détenteurs des pétrodollars qui contrôlent la majorité des capitaux flottants, éléments déterminants pour la fixation des cours sur les marchés financiers.
Il est probable que le gouvernement étatsunien mette tout en œuvre pour contrer la devise européenne à très court terme.
Dans ce schéma idéal, la monnaie américaine doit se déprécier lentement, mais garder une certaine valeur, en tous les cas dans les 5 à 10 ans à venir. Pour réaliser cet exploit, alors que le dollar ne vaut objectivement plus grand-chose et est également phagocyté par le développement du bitcoin, il n’y a qu’une seule solution : qu’il résiste par pure pesanteur, bref qu’il survive quelque temps par son usage habituel, presque par routine. Car il est encore aujourd’hui l’étalon monétaire mondial et doit le rester provisoirement en attendant le bitcoin. Pour cela, une condition est indispensable : il ne faut aucun concurrent à l’échelle occidentale. Or, il en existe un : il se nomme l’euro ! Il est donc probable que le gouvernement étatsunien mette tout en œuvre pour contrer la devise européenne à très court terme. Car le choix doit être simple pour les acteurs des transactions internationales : « le dollar pour le moment en attendant le bitcoin demain… et rien d’autre ! ».
Alors, comment faire pour casser cette dangereuse concurrence monétaire ?
Les États-Unis vont certainement engager le fer contre le défaut de la cuirasse de l’Union européenne, c’est-à-dire son gouvernement politique. C’est le bon vecteur pour toucher l’euro par la bande. Trump et son équipe gouvernementale soutiennent déjà et soutiendront de toutes leurs forces et influences les partis politiques d’extrême-droite tels que l’AFD en Allemagne ou le Rassemblement National en France. Le département d’État a officiellement édité une proclamation d’aide et d’assistance aux organisations de la droite radicale dans tous les pays de l’UE(2)https://legrandcontinent.eu/fr/2025/05/29/par-un-canal-officiel-les-etats-unis-de-donald-trump-lancent-un-appel-au-changement-de-regime-en-europe-texte-integral/..
Derrière un discours de « guerre de civilisation » et de soi-disant défense des valeurs occidentales depuis la Grèce antique, Washington intervient pour imposer des gouvernements anti-européens dans les pays importants de la vieille Europe, comme l’Allemagne ou la France. Trump se fiche bien de l’AFD allemand ou du RN français. Il se contrefout des « valeurs » gréco-romaines. Il se sert simplement des « idiots utiles » de l’extrême-droite européenne comme bélier pour limiter le rayonnement européen et surtout pour cantonner sa monnaie ! Gageons que l’ambassade des États-Unis, place de la Concorde à Paris, fera tout son possible et jouera de son influence et de son rayonnement pour provoquer si possible une nouvelle dissolution du parlement français et l’arrivée du RN à Matignon. Dans ce cas, la politique monétaire et financière de l’UE serait gravement perturbée et l’euro resterait à sa place de monnaie secondaire et non plus de concurrente pour le leadership face au roi dollar.
La guerre en Asie en 2027 ?
Comme nous l’avons vu, une transition monétaire nécessite également un gel de la dette américaine, en reportant à plus tard ses remboursements très fortement dévalués. Seule la guerre généralisée avec l’Asie comme front principal peut permettre de remplir cet objectif monétaire et financier.
Or, pour qu’une guerre ait lieu entre les deux premières puissances du monde, il faut la préparer. Depuis la fin du 19e siècle, au minimum 4 budgets annuels de réarmement sont indispensables pour ce faire. Par exemple, pour la Seconde Guerre mondiale, les premiers budgets de guerre datent de 1935 pour l’Allemagne et de 1936 pour la France. Il en est de même aujourd’hui. L’expansion du budget de la défense chinois date de 2023. L’augmentation du budget de la défense des États-Unis est de l’année suivante, soit 2024. Aujourd’hui, ce budget atteint 850 milliards de dollars et atteindra 1 000 milliards en 2026. Nous pouvons donc estimer que « le fer » pourrait être engagé à partir de 2027 pour la Chine et de 2028 pour les États-Unis.
Notons que l’empire du Milieu a une légère avance. Il peut en profiter pour attaquer plus tôt Taïwan, sachant que, de toutes les manières, la guerre est inéluctable pour des raisons financières et surtout monétaires. La survie du capitalisme occidental est à ce prix. XI Jinping peut considérer que, derrière ses rodomontades, Trump craint en fait la guerre, et la lui imposer au pire moment de la bascule monétaire dollar-bitcoin. Un indice existe qui va dans ce sens : l’attitude dilatoire de Moscou, allié de la Chine, dans la guerre qui l’oppose à l’Ukraine. Visiblement, les deux alliés euroasiatiques ne désirent pas calmer le jeu en Europe. Poutine ne cherche aucunement à obtenir un « deal » dont Trump est friand, et cela, même avec des conditions favorables à la Russie. Cette crainte de la guerre de Trump est particulièrement visible au Proche-Orient, où les États Unis ont laissé un long moment Israël en première ligne et prendre tous les risques militaires contre l’Iran. L’US Army est finalement entré dans la bataille mais à reculons, en bombardant les sites nucléaires iraniens.
Pékin et Moscou considèrent que le temps travaille pour eux, en observant Washington déconstruire le camp occidental. Il est clair qu’aujourd’hui aucune alliance occidentale, en ajoutant le Japon ou la Corée du Sud, n’est opérationnelle pour une guerre généralisée contre la Chine alliée à la Russie et à la Corée du Nord.
Pour l’année qui vient, ce sera de deux choses l’une : ou bien un temps de latence pour fourbir les armes destinées à une guerre en 2027-2028, ou bien la Chine choisira de prendre les devants et d’attaquer Taïwan.
Notes de bas de page