Pour renouer avec les quatre conditions révolutionnaires de la création de la Sécurité sociale…

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Le programme du Conseil national de la Résistance est la plus grande avancée politique et sociale de l’histoire de France bien qu’elle se soit réalisée dans le cadre du capitalisme de l’époque. Mais dans ce cadre, une seule mesure fut anticapitaliste : la création de la Sécurité sociale ! C’est ce qui explique la détermination du grand patronat, des élus bourgeois de droite et de gauche et de leurs alliés (les grands propriétaires agricoles, la Fédération nationale de la mutualité française, les professions libérales, etc.) d’avoir comme axe central de leur lutte de classe de transformer ce conquis populaire en privatisant ce qui peut faire du profit et en laissant les parties non rentables dans le secteur étatique. Et ce fut le seul cas dans le monde !

Rendez-vous compte : une structure de droit social qui assure la protection des travailleurs, des citoyens et de leurs familles de la naissance à la mort, dans une caisse unique pilotée par le principe de solidarité (à chacun selon ses besoins, chacun y contribuant selon ses moyens), autonome de l’État et des puissances de l’argent, financée par eux-mêmes dès la création de richesse dans le travail avec le salaire socialisé des cotisations, et dirigée et gérée par eux-mêmes selon le principe de la démocratie souveraine (75 % de toutes les caisses locales, départementales et nationale réservés aux assurés sociaux élus lors d’élections au suffrage universel des assurés sociaux) ! Aux députés de gérer le budget de l’État, aux élus des assurés sociaux de gérer le budget de la Sécurité sociale ! Mais la bourgeoisie ne peut supporter l’idée qu’un budget plus important que le budget de l’État puisse être géré par des travailleurs. Aujourd’hui le budget de L’État est de 455 milliards d’euros pour 570 milliards pour la Sécu.

Ces quatre conditions révolutionnaires sont totalement détruites pour trois d’entre elles (unicité, solidarité, gestion par les travailleurs par une élection dédiée) et la quatrième l’est déjà pour moitié (aujourd’hui la fiscalisation-CSG plus les taxes et les emprunts sur le marché bancaire représentent la moitié du financement avec comme but du grand patronat de le généraliser sur l’ensemble du financement). De la loi Morice en 1947 jusqu’à nos jours, le travail de déconstruction de ce conquis populaire fut l’une des priorités des dirigeants de droite et de gauche du capitalisme. Ces dirigeants du capitalisme ont réussi l’étatisation de la Sécurité sociale par les actions de de Gaulle-Pompidou-Jeanneney en 1967, de Chirac-Juppé en 1995, et de Sarkozy-Fillon-Bachelot en 2008. À partir de cette étatisation, la privatisation des profits en est facilitée. Et c’est Mitterrand-Chirac-Seguin qui en 1987 rompt avec l’indexation des retraites sur le salaire moyen sans que la gauche plusieurs fois revenue au pouvoir n’ait jamais remis en cause !

Idem pour la contre-réforme Mitterrand-Balladur de 1993, elle non plus jamais remise en cause par la gauche néolibérale jusqu’au gouvernement d’union de la gauche de Lionel Jospin qui accepte de se « coucher » devant les directives européennes antisociales en 2001 par la transformation du Code la mutualité en code assurantiel mettant en selle la future alliance de l’Union nationale des organismes complémentaires à l’assurance-maladie (Unocam) qui sera constituée en 2004 par Chirac-Raffarin-Douste-Blazy dans les buts de l’unification des complémentaires santé sur les bases de la Fédération Française des sociétés d’assurance (FFSA, branche assurantielle du Medef). L’Unocam se bat actuellement pour prendre le contrôle de la Sécurité sociale avec comme base la directive européenne Solvabilité 2 en attendant Solvabilité 3. L’accord national Interprofessionnel (ANI) et la protection sociale complémentaire (PSC) des années 2020 des néolibéraux préfigurent l’attaque ultime contre la Sécurité sociale dès les années 2030 par différents scénarii actuellement en discussion dans les lobbies bancaires et assurantiels. Sauf si une gauche de gauche arrive au pouvoir avant en engageant le processus de République sociale avec un bloc historique populaire et le retour aux conditions révolutionnaires de la Sécurité sociale des années 1945-46…

Il faut prioriser une gigantesque campagne pour une nouvelle hégémonie culturelle…

Promouvoir un projet politique plus émancipateur demande toujours de promouvoir d’abord les principes et les conditions sur lesquels il s’appuie. Et un projet émancipateur a souvent des principes qui sont contradictoires à l’idéologie dominante qui elle, supporte le système que nous jugeons injuste. Et si nous avons un système injuste, c’est en partie parce qu’une grande partie des citoyens, des travailleurs pensent que les principes bourgeois sont justes. Il faut donc rompre avec ceux-ci par une campagne massive pour une nouvelle hégémonie culturelle. Sur les bases historiques correspondant aux conditions révolutionnaires de 1945-46. Ces bases sont largement présentées dans deux livres (voir la librairie militante du site de ReSPUBLICA) et le blog de Christophe Prudhomme dans lequel nous avons puisé dans une partie de ce qui suit.

Nos cotisations sociales correspondent à la partie du salaire socialisé transmise dans une caisse de solidarité appelée Sécurité sociale afin de pouvoir payer nos frais de santé, bénéficier de prestations familiales, de prestations logement, de prestations précarité, de prestations d’animation sociale (centres sociaux), de pouvoir être accompagné en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, toucher une pension de retraite et des prestations autonomie. Il ne s’agit pas de « charges » pour les employeurs, mais bien de ce qu’on appelle le salaire socialisé qui nous appartient. Il suffit d’aller aux États-Unis pour comprendre. Dans ce pays, les salariés touchent la totalité de ce qu’on appelle le coût total employeur et doivent se payer une assurance santé et mettre de l’argent dans un fonds de pension pour capitaliser pour leur retraite. Donc l’argent de la Sécurité sociale appartient aux travailleurs et il est légitime qu’ils en assurent la gestion. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. En effet, dès les années 1950 et surtout après les ordonnances de 1967, le patronat a repris la main en imposant le paritarisme qui lui a permis avec l’aide d’un syndicat complaisant de s’assurer le contrôle du système.

Puis l’État, sous le gouvernement Juppé, a accru le contrôle étatique contre les travailleurs avec la loi de financement de la Sécurité sociale décidée sans référence aux besoins sociaux. La question qui se pose aujourd’hui avec acuité est de pouvoir décider à la fois du montant de notre rémunération que nous désirons consacrer à notre protection sociale et de son utilisation.

Pour cela, plusieurs conditions sont nécessaires. Il s’agit de redonner les pouvoirs de gestion aux caisses et supprimer la loi de financement de la Sécurité sociale. Ce pouvoir existe encore aujourd’hui pour le régime particulier Alsace-Moselle dont le conseil d’administration peut faire varier le niveau de cotisation en fonction des dépenses de l’année antérieure, ce qui permet d’éviter les déficits utilisés aujourd’hui pour imposer des plans d’économies.

Cette caisse présidée aujourd’hui par un membre de la CGT est à l’équilibre et permet un remboursement à 92 % de l’ensemble des frais de santé avec un niveau de cotisation qui est loin d’atteindre le plafond autorisé. La deuxième condition est de revenir à la proportion de 75 % de représentants des assurés sociaux dans les conseils.

Enfin, il faut rétablir les élections des représentants dans les caisses, car les dernières datent de 1983, ce qui constitue une véritable régression démocratique. Revendiquer ces évolutions est une absolue nécessité.

La Sécurité sociale n’est pas une administration de l’État, mais un conquis des travailleurs qui permet de sortir du marché le financement de besoins sociaux essentiels. Les capitalistes n’ont jamais accepté que ce secteur représentant près d’un tiers du PIB, leur échappe. Ils n’ont eu de cesse depuis maintenant plus de 70 ans d’essayer d’en récupérer le maximum. Nous sommes à un moment de rupture où il faut faire des choix clairs.

Nous sommes à un moment de rupture où il faut faire des choix clairs.

Soit nous les laissons poursuivre leur opération de prédation d’une partie de nos salaires, soit nous exigeons d’en récupérer le contrôle plein et entier. Ce ne doit pas être un rêve, mais une exigence dans le cadre de la bataille sur les retraites.

Mais nous en sommes loin, la preuve par un des mille exemples de politique de l’extrême centre macroniste…

Au lieu d’aller dans le sens que nous préconisons pour la refondation de la Sécurité sociale, l’extrême centre macroniste va complètement à son encontre en multipliant les cautères (onéreuses) sur des jambes de bois. Un exemple récent entre mille des mesures superficielles qui, sans revoir le fonctionnement global de l’hôpital public et de la santé, porte préjudice aux usagers et aux soignants.

Face aux difficultés de recrutement médical, dans un hôpital public en plein délitement, de nombreux services et au premier chef les services d’urgence, font appel aux intérimaires afin de combler les trous dans le planning. Ces médecins remplaçants, parfois payés à prix d’or et absolument désinvestis de l’engagement institutionnel, obtiennent des avantages en faisant jouer la concurrence avec le privé (tout en dédaignant les gardes de nuits et de week-ends). Pour contrer ce problème qui plombe les finances de l’hôpital, mais sans réflexion sur les sources de l’absence d’attractivité médicale, récemment a été appliquée une loi visant entre autres à plafonner les rémunérations des médecins intérimaires : la loi Rist. Cette dernière plafonne l’intérim médical à 1400 euros bruts les 24 h où auparavant c’était parfois open-bar (2000, 3000, 4000 euros). Désormais, avec ce plafond, les intérimaires urgentistes qui servaient à boucher les trous du sous-effectif médical chronique ne veulent plus venir. Ils vont dans le privé qui par magie (ou lobbying) n’est pas soumis à cette loi.

Mais pour pallier les défections, le ministère a sorti de son chapeau la création de contrats de type 2 dits d’attractivité qui peuvent aller jusqu’à 10 000 euros nets par mois (dont une part variable sur objectifs comme des vendeurs d’une entreprise privée !). Cela va créer encore des inégalités salariales entre médecins d’un même service et un sentiment d’injustice. En effet, comme les intérimaires, on peut douter que ces médecins très bien payés aillent s’impliquer dans la vie institutionnelle du service et de l’hôpital. Et cela va malgré tout alourdir les finances de l’hôpital.

À titre d’illustration, dans l’hôpital où exerce un des auteurs, certains médecins comme lui prennent des gardes aux urgences en plus de leur temps de travail pour éviter de fermer les urgences. Mais malgré ça, l’hôpital est contraint parfois de réguler par le 15 le service d’accueil des urgences. Celui-ci est alors fermé à ceux qui viennent sans l’aval du 15, hors urgences vitales. Cette fermeture est assurément mal vécue par des usagers inquiets d’un service public qui estiment, à bon droit, pouvoir bénéficier de soins urgents.

De plus, le mystère s’épaissit. Quand l’hôpital fait appel à des agences d’intérim, et non par contrat d’intérim direct sans agence, le plafond de rémunération des médecins intérimaires est plus élevé. Assurément, un coup de boutoir supplémentaire du capitalisme débridé aidé en cela par l’extrême centre au pouvoir. Des exemples comme celui-là, nous en avons tellement que cela semble recréer un mouvement perpétuel macroniste.