Cet éditorial s’inscrit dans la droite ligne des sept éditoriaux suivants d’Evariste, toujours valables, depuis celui du 1er septembre 2025 :
- Quelles mobilisations pour le 10 septembre ? Pour le retrait total du plan Macron-Bayrou !
- Mouvement du 10 septembre : ce que pensait Antonio Gramsci, grand penseur révolutionnaire italien, des mouvements populaires spontanés
- Le 10 septembre, pour une contre-offensive du camp populaire !
- 10 septembre, une nouvelle génération militante se lève
- Mobilisation réussie, et après ?
- Que penser du 2 intersyndical contre le 13 patronal « arbitré » par Macron-Lecornu ?
Le présent éditorial reprend des analyses critiques qui se développent actuellement dans les mouvements sociaux.
Le succès de la mobilisation des 10 et 18 septembre traduit bien la colère des salariés face aux politiques régressives de l’extrême centre macroniste, conformément aux propos des éditoriaux d’Evariste notés ci-dessus. Mais la journée du 2 octobre a montré les forces et les faiblesses des mouvements sociaux largement dues à une analyse erronée du réel.
Les réactions face à l’hypothèse de la taxe Zucman sont les symptômes de la fissuration de l’hégémonie culturelle de la grande bourgeoisie
La grande bourgeoisie est portée à envisager de nouvelles avancées de l’union de toutes les droites (donc incluant le RN) pour obtenir, par un autoritarisme grandissant, ce qu’elle ne peut plus obtenir par son idéologie culturelle.
Thomas Piketty a raison quand il dit que la taxe Zucman est notoirement insuffisante pour obtenir une vraie justice fiscale. Mais la hargne de la grande bourgeoisie et des éditorialistes des médias dominants contre cette taxe est symptomatique d’un début de perte de l’hégémonie culturelle bourgeoise. L’injustice fiscale criante de la déformation grandissante du partage de la valeur ajoutée est aujourd’hui largement admise par le peuple français. La grande bourgeoisie est donc portée à envisager de nouvelles avancées (pour elle) de l’union de toutes les droites (donc incluant le RN) pour obtenir, par un autoritarisme grandissant, ce qu’elle ne peut plus obtenir par son idéologie culturelle.
Deux tendances patronales se disputent la future politique bourgeoise
La première est celle de continuer la politique austéritaire du capital, mais en organisant un repli tactique provisoire par rapport aux budgets Macron-Barnier et Macron-Bayrou. Alors que cette dernière proposition était une austérité supplémentaire de 43,8 milliards d’euros, la proposition du Crédit Agricole, soutenue « par les petits et moyens patrons », était de proposer « seulement » une austérité supplémentaire de 32 milliards d’euros pour « couper la poire en deux » entre Macron-Bayrou et la proposition du PS.
La deuxième est celle de l’attaque du grand patronat, de la présidence du Medef autour de Patrick Martin. Cette dernière souhaite une nouvelle dissolution pour obtenir de nouveau une répartition tripartite avec une poussée du RN et de ses alliés, poussant ainsi à une union de toutes les droites plus franche (voir l’édito de la semaine dernière). C’est la stratégie du Medef et de son action patronale du 13 octobre pour dissuader le président Macron de tout recul sur la fiscalité des entreprises et des milliardaires.
Pour cette tendance du patronat, le capitalisme « tardif » est en effet confronté aujourd’hui à une crise systémique en raison d’une stagnation de la productivité qui pèse sur le taux de profit des entreprises. Cette stagnation ne permet plus l’augmentation suffisante de la « plus-value relative » pour lutter contre la baisse tendancielle du taux de profit. Il ne reste donc plus que la méthode de la « plus-value absolue » qui demande un soutien accru des forces de répression médiatique et policière(1)Anatomie du chaos : le capitalisme autodestructeur sous perfusion de l’État – ReSPUBLICA.. De ce fait, les dividendes ne peuvent continuer à augmenter qu’avec un ruissellement de bas en haut de l’argent public(2)Le grand détournement de 211 ou 270 milliards d’euros – selon une commission sénatoriale ou le livre intitulé Le grand détournement – d’aides publiques de l’État sans contreparties..
Trois tentatives de la grande bourgeoisie pour augmenter ultérieurement le taux de profit
C’est pour cela que la grande bourgeoisie tente, par des investissements importants dans l’intelligence artificielle(3)Qui n’a rien d’intelligent ni d’artificiel !, d’augmenter la « plus-value relative » par une augmentation de la productivité. Au risque d’un éclatement d’une bulle financière de l’IA, comme ce fut le cas de la bulle internet de l’an 2000 !
Deuxièmement, la grande bourgeoisie tente d’élargir la sphère d’influence du marché en travaillant à la privatisation des profits et à la socialisation des pertes des activités hors marché. De ce fait, l’attaque principale du grand patronat est de combattre la socialisation de la sphère de constitution des libertés (école, services publics, Sécurité sociale).
Comme la gauche privilégie outrancièrement le primat des questions sociétales aux questions sociales, la défense et la promotion de la sphère socialisée de constitution des libertés sont bien trop faibles actuellement.
Et, comme la gauche privilégie outrancièrement le primat des questions sociétales aux questions sociales, la défense et la promotion de la sphère socialisée de constitution des libertés sont bien trop faibles actuellement. Cette critique touche aussi bien la gauche dite « modérée » que la gauche dite « radicale ». Même les 80 ans de la Sécurité sociale n’ont pas engagé un surcroit de mobilisation de la gauche « modérée » ou « radicale ».
Troisièmement, selon l’analyse de Jean Jaurès, « le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage ». Ce qui explique l’offensive des va-t’en guerre et l’accroissement extraordinaire des budgets militaires. Pour le plus grand profit des multinationales de l’armement et pour augmenter le taux de profit par la destruction du capital à reconstituer. Tout en maintenant bien sûr la pression autoritaire sur les salaires nets et socialisés(4)Les salaires nets et socialisés sont les salaires mensuels du bas de la fiche de paie et les cotisations sociales. De ce point de vue, rappelons que 1 euro de cotisation sociale n’est pas équivalent à 1 euro d’impôts, ce qui explique la position du grand patronat visant à la suppression des cotisations sociales. N’en déplaise à la « gauche patronale » – influente dans les partis et les syndicats de gauche – qui défend la fiscalisation de la Sécurité sociale ! et de la destruction des conquis du droit du travail !
Que faire ?
Pour répondre au « que faire ? », il faut revenir et débattre sur la faiblesse du 2 octobre 2025. Deux ensembles de considérations doivent être soumis au débat militant.
Le premier ensemble de considérations procède d’une analyse déterminée et consciente du fait que la gauche politique et syndicale n’est pas à la hauteur des enjeux. Pour le mouvement du 10 septembre, il est clair que, lorsque les forces de police et de gendarmerie se trouvent sur les lieux, le blocage est contré immédiatement par les forces répressives. Le système des boucles en poupées russes des réseaux sociaux (notamment Telegram et Signal) et les AG à l’air libre ne peuvent résister au renseignement territorial de la police nationale.
Pour le mouvement syndical, il est clair que la préparation méthodique à la grève reconductible n’a pas été effectuée ni par la gauche « modérée » ni par la gauche « radicale ». Par exemple, la RATP, qui a mobilisé près de 100 % de grévistes en 2018, ne s’est quasiment pas mise en grève le 2 octobre. Idem pour les « pétroliers », qui ont tenu il y a quelques années plusieurs semaines en grève reconductible, alors que la FNIC-CGT (principal syndicat du secteur) a repris avec détermination les slogans du mouvement du 10 septembre. Idem, à un degré moindre, s’agissant des cheminots.
Les directions syndicales ne tiennent toujours pas compte de l’analyse du réel, à savoir la montée en puissance des primes conditionnées à l’assiduité des secteurs les plus déterminés à agir. Répéter, c’est enseigner : dans le cas des primes conditionnées à l’assiduité mensuelle, il faut préférer la préparation de grèves reconductibles qui ne font perdre au maximum qu’un mois de prime, alors que les manifestations saute-mouton peuvent en faire perdre de nombreux. Donc, les directions des structures syndicales doivent lancer des caisses de grèves bien avant le déclenchement des actions effectives.
Il faut que la gauche politique soutienne plus sérieusement les actions syndicales au lieu d’intervenir uniquement dans la communication nationale des médias dominants.
Combien de fois faudra-t-il le répéter ? Oui, il faut doubler les actions « tradis » d’envois internet, de prises de paroles et de distribution de tracts et flyers par des contacts directs avec les salariés UN par UN. Oui, il faut renforcer l’importance et le financement des unions locales syndicales ! Oui, il faut répartir les heures syndicales sur plus de personnes pour toucher le maximum de salariés au lieu de seulement augmenter les heures syndicales des permanents qui passent trop de temps à discuter avec les directions des entreprises et des collectivités locales et nationales. Oui, il faut augmenter la formation des militants tant de la gauche politique que de la gauche syndicale ! Oui, il faut développer les pratiques d’une éducation populaire refondée pour le plus grand nombre ! Oui, il faut que la gauche politique soutienne plus sérieusement les actions syndicales au lieu d’intervenir uniquement dans la communication nationale des médias dominants. D’autant que les militants politiques sont beaucoup moins syndiqués que par le passé, ce qui est une erreur manifeste.
Le deuxième ensemble de considérations est que les directions des partis et des syndicats de gauche ne pas tiennent compte ni des choix du peuple ni des lieux d’attaque du grand patronat. Dans les deux cas, il s’agit des salaires et des conditions de travail d’une part et de la nécessaire promotion de la sphère de constitution des libertés (école, services publics, Sécurité sociale) d’autre part. Et dans les services publics, on compte aussi les services publics de sécurité des citoyens et pas seulement des dirigeants de l’État et des entreprises. Alors, quand le PS demande une diminution de la CSG pour augmenter le salaire net et le rapprocher du brut, alors que diminuer la CSG (ou diminuer les cotisations sociales), c’est diminuer les recettes socialisées de la Sécurité sociale, on marche sur la tête en reprenant une position grand-patronale ! Pour préparer les prochains mouvements sociaux, il faut donc, en période sociale paroxystique, prioriser la question sociale et non les questions sociétales ou identitaires !
Les 80 ans de la Sécurité sociale méritaient mieux de la part des directions des grandes organisations syndicales et politiques
Léo Rosell a raison quand il déclare, dans son livre La Sécu, une ambition perdue ? (JC Lattès), que la Sécu est une création « quasi révolutionnaire » que les Français plébiscite à 88 %, que la Sécu ne se résume pas à la carte vitale(5)Qui ne compte que pour 260 milliards d’euros sur les 666 milliards du budget de la Sécu., que c’est une institution qui a pour objet « d’en finir avec la peur du lendemain », que c’est une institution qui s’oppose à la préférence nationale, que la critique contre l’AME ne concerne que 0,45 % du budget de la Sécu, que la Sécu que l’on souhaite correspond au modèle de société souhaité, qu’il faut repolitiser les choix de la Sécu, etc. C’est le sens de notre émission radio du mois d’octobre(6)https://smartlink.ausha.co/reseau-education-populaire/en-quete-d-interet-general-10-80-ans-de-la-securite-sociale..
Seule une minorité de structures locales syndicales et politiques a engagé dans la séquence post-estivale des réunions publiques conséquentes sur la Sécurité sociale et sur les services publics. Des membres de ReSPUBLICA et du Réseau Education Populaire (Rep) ont été mobilisés pour la circonstance à un rythme très soutenu. Mais c’est encore insuffisant tant l’attaque du grand patronat et de ses alliés élus est importante.
Notes de bas de page
↑1 | Anatomie du chaos : le capitalisme autodestructeur sous perfusion de l’État – ReSPUBLICA. |
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↑2 | Le grand détournement de 211 ou 270 milliards d’euros – selon une commission sénatoriale ou le livre intitulé Le grand détournement – d’aides publiques de l’État sans contreparties. |
↑3 | Qui n’a rien d’intelligent ni d’artificiel ! |
↑4 | Les salaires nets et socialisés sont les salaires mensuels du bas de la fiche de paie et les cotisations sociales. De ce point de vue, rappelons que 1 euro de cotisation sociale n’est pas équivalent à 1 euro d’impôts, ce qui explique la position du grand patronat visant à la suppression des cotisations sociales. N’en déplaise à la « gauche patronale » – influente dans les partis et les syndicats de gauche – qui défend la fiscalisation de la Sécurité sociale ! |
↑5 | Qui ne compte que pour 260 milliards d’euros sur les 666 milliards du budget de la Sécu. |
↑6 | https://smartlink.ausha.co/reseau-education-populaire/en-quete-d-interet-general-10-80-ans-de-la-securite-sociale. |