Comprendre la crise économique, sociale et politique mondiale – troisième volet

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Une fois que l’on a compris la dialectique interne au commerce international lui-même entre production, consommation, épargne et investissement avec les niveaux de développement industriel et scientifique(1)Voir les volets 1 et 2 : Comprendre la crise économique, sociale et politique mondiale – premier volet et Comprendre la crise économique, sociale et politique mondiale – deuxième volet et le précédent article sur la politique commerciale de la Chine de Wukong : La Chine, ce pays si mal connu., on peut s’appuyer sur des exemples issus de débats récents (la question du commerce international des véhicules électriques et celle des différences de salaire entre pays), puis rappeler la position singulière des États-Unis dans le concert commercial international pour tirer des premiers enseignements.

Il conviendra bien sûr ultérieurement de complexifier le modèle en introduisant dans les enchaînements dialectiques tous les autres paramètres (démocratie, transition énergétique et écologique, ordolibéralisme ou pas, développement des classes géosociales, niveau de développement de la sphère de constitution des libertés – école, services publics et sécurité sociale –, etc.).

Le débat sur le commerce des voitures électriques

Il n’est pas dans notre propos dans ce court article de revenir sur le débat techno-écologique relatif aux voitures électriques, sujet déjà traité précédemment dans ReSPUBLICA(2)Voir l’article sur Les dessous de la voiture électrique.. Nous en resterons à la compréhension du débat sur la concurrence commerciale mondiale de plus en plus tendue avec des arguments tantôt confus, tantôt justes. Les uns estiment que les fortes subventions chinoises sur leur production de véhicules électriques sont bénéfiques pour les consommateurs occidentaux, car ces derniers participeront alors plus vite à la transition énergétique à un moindre coût. Les autres estimeront que les entreprises occidentales ne pourront alors pas survivre et produiront une forte augmentation du chômage dans les pays importateurs de véhicules électriques chinois.

Nous disons d’abord que les deux côtés ont raison. Mais si on en reste là, et que l’on choisit l’une ou l’autre des solutions, indépendamment d’une vision holistique sur l’ensemble des relations internationales, qui alors apparaissent contradictoires, suivant notre inclination morale ou émotionnelle, on est sûr soit de favoriser la Chine au détriment des Occidentaux, soit de développer le protectionnisme bourgeois(3)Le protectionnisme bourgeois est le protectionnisme qui lutte pour des avantages concurrentiels et non pour des avantages comparatifs. Voir les deux premiers volets de cette étude ci-dessus. des Occidentaux. Et en prime dans les deux cas, de mettre dans le juke-box du commerce international une pièce supplémentaire pour aller vers l’intensification des conflits inter-impérialistes qui débouchent sur la multiplication des guerres régionales terriblement meurtrières.

Car le problème n’est pas que la Chine puisse ou non dominer des secteurs industriels spécifiques (comme les voitures électriques), mais que lorsqu’un pays domine un certain secteur, il est nécessaire que la hausse des exportations s’accompagne d’une croissance des importations. Sinon la hausse des exportations se fait au détriment de la demande globale avec création d’excédents et alimente donc le conflit impérialiste. Dans un cas, les subventions chinoises sont payées par le consommateur occidental et dans l’autre cas par d’autres producteurs chinois. Si on résume, le problème n’est pas le commerce international, mais le fait que le commerce international est déséquilibré. Lorsqu’une politique de « l’offre crée par les exportations d’un pays ne correspond pas à la demande crée par ses importations » (Michael Pettis), nous nous trouvons en présence d’une source de développement impérialiste constitué par un commerce international déséquilibré et un avantage concurrentiel.

De plus, dans ce cas, la production mondiale n’augmente pas et la demande sociale est inassouvie. Alors que la recherche de la concorde universelle demande des échanges équilibrés, des avantages comparatifs (et non concurrentiels) qui accroissent la production mondiale et donc répondent à une demande sociale inassouvie. Une fois compris, ce phénomène circonscrit au sein des dynamiques du commerce international, on voit bien que dans la vraie vie, c’est-à-dire dans le réel complexe, l’intérêt des habitants de la planète demande que l’augmentation de la production mondiale s’effectue dans le sens d’un intérêt écologique et social et que pour cela, nous avons besoin en plus d’une articulation avec une planification sociale, démocratique et écologique.

Mais de façon dialectique, on voit bien l’insuffisance théorique et pratique des discours, par exemple, sur la nécessité de la planification écologique si de façon concomitante, on oublie de penser le réel complexe sans la question sociale ou sans une réflexion sur le commerce international. D’une façon générale, pour penser et agir sur le réel complexe, il faut dialectiser tous les champs de la vie humaine alors que le XXèmee siècle s’est construit sur une base ségrégative et séparatiste, au niveau des champs de cette vie humaine, inégalée dans l’histoire.

Le débat sur les salaires dans le monde

Le monde médiatique et de nombreux militants se sont spécialisés dans les discussions sur la comparaison des salaires des différents pays sans lien avec d’autres réalités. Pour penser le commerce international, il convient de lier cette comparaison des salaires avec les différences de productivité. Cela permet alors d’étudier les différences de la part conservée par les travailleurs de ce qu’ils produisent. Dans le cas du commerce entre les États-Unis et la Chine, les salaires et la productivité du premier sont supérieurs au second, avec des différences de salaires beaucoup plus importantes que la différence de productivité entre les deux pays. Les travailleurs américains consomment alors une plus grande part de ce qu’ils produisent que leurs homologues chinois. A contrario, avant la crise de 2008, si on étudie le commerce entre l’Allemagne et l’Espagne, avec des salaires et une productivité plus grande pour l’Allemagne, mais avec une différence de salaire faible et une grande différence en productivité, ce sont les travailleurs espagnols qui consommaient une plus grande part de ce qu’ils produisaient. C’est pourquoi la part de l’épargne dans le PIB est plus élevée en Chine qu’aux EU et était plus élevée en Allemagne qu’en Espagne.

On comprend bien alors que le système d’interdépendance peut évoluer favorablement pour un pays déficitaire comme la France s’il y a une forte augmentation de la part des salaires dans la valeur ajoutée, une meilleure répartition des revenus entre les entreprises, l’État, les collectivités locales, les classes populaires et la classe dominante et la possibilité d’utiliser le protectionnisme écologique et social (qui suppose une modification des traités et des directives de l’UE).

Keynes 1944 versus OMC, il va falloir choisir

Faut-il intervenir dans le commerce international ou laisser faire « la main invisible » ? Ne pas intervenir comme avant 2022, ou n’intervenir que contre des violations commerciales comme l’ont fait l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et d’autres organes de réglementation ou comme le fait l’ordolibéralisme européen, nous entraîne dans des déséquilibres commerciaux de plus en plus forts. D’où la montée des conflits impérialistes, la recrudescence des conflits et des guerres, le recul des conquis sociaux dans les pays développés, et l’augmentation des inégalités sociales comme entre les pays.

Voilà pourquoi il est préférable de cibler les déséquilibres commerciaux globaux comme l’avait proposé John Maynard Keynes en 1944 plutôt que de laisser prospérer les déséquilibres commerciaux massifs et les flux de capitaux pervers comme aujourd’hui. Pour l’Union européenne, cela demande le passage à une Europe puissante qui sanctionne fortement les excédents commerciaux sauf à ce qu’ils soient utilisés pour investir dans des pays fortement déficitaires de l’UE. Mais aussi des changements dans les traités et les directives pour plus de services publics(4)Qui ne soient plus des Services d’intérêt économique général (SIEG) ou des services sociaux d’intérêt général (SSIG) qui sont soumis à une concurrence totalement faussée, mais des services publics respectant les principes de mutabilité, continuité et égalité afin de répondre aux besoins sociaux., et surtout des transferts financiers importants pour diminuer les inégalités internes si on conserve l’euro, ou le passage à la monnaie commune dans le cas contraire. Cette clause est importante, car on ne peut en rester aux subventions directes, mais il faut aussi parler des subventions indirectes. Par exemple, une monnaie sous-évaluée par rapport à un pays considéré oblige indirectement les ménages à subventionner les fabricants. Et une monnaie surévaluée par rapport au pays considéré met en difficulté les exportations.

Le cas singulier des États-Unis

Il reste à comprendre que, pour l’instant, les États-Unis sont un pays très déficitaire, mais qui boucle son circuit financier grâce à l’achat de la dette étasunienne par les excédents d’épargne des pays étrangers qui se ruent sur ce rachat. La Chine utilise ses excédents dans le bouclage financier étasunien. Outre le fait que le dollar soit la monnaie principale des échanges économiques, cela lui permet de pratiquer l’extraterritorialité dans ses jugements. Par exemple, le Foreign Corrupt and Practises Act (FCPA) permet aux États-Unis de poursuivre toute personne physique ou morale s’il existe un lien de rattachement entre une infraction supposée par le droit américain et le territoire américain. Pour le cas de l’affaire Alsthom, le lien retenu par les Américains était le dollar, devise utilisée dans les transactions entre l’entreprise et des décisionnaires étrangers utilisant le dollar. Tout cela lui permet aussi de financer un gigantesque appareil militaire malgré une dette croissante.

Que faire ?

Le premier objectif est de toujours partir du global pour aller vers le local. L’analyse holistique est une nécessité, même si sur le plan pédagogique, il faut expliciter chaque élément du puzzle séparément avant de les faire fonctionner ensemble. Dans ces trois volets, nous avons engagé la voie pédagogique. Il reste à continuer de clarifier le complexe global et ne pas se contenter d’une simplification.

Le deuxième objectif est de s’appuyer sur une théorie la plus fine possible. Dans notre cas, nous savons par exemple à la suite de Samir Amin(5)Voir : Le commerce international et les flux internationaux de capitaux – Persée (persee.fr).  qu’il manque une théorie générale de l’accumulation à l’échelle mondiale intégrant le phénomène de l’échange inégal sans lequel on ne peut comprendre l’entièreté du monde global. Et allant au-delà, il nous manque le dressage complet du bilan de l’ordolibéralisme européen, et des mutations du capitalisme néolibéral des 40 dernières années. De ce point de vue, ni le keynésianisme de gauche ni la pensée de Marx ne sont la fin de l’histoire. Ils ont œuvré et il faudra aller au-delà.

Le troisième objectif restant à accomplir est de remettre dans le champ dialectique et historique tous les champs de la vie humaine : la démocratie, l’écologie, la laïcité, l’analyse sociale, les dynamiques institutionnelles, etc.

Le quatrième objectif est d’assurer la formation militante et, de ce point de vue, pratiquer l’école tout au long de sa vie sans subir l’idéologie dominante qui n’est que l’idéologie de la classe dominante. Et là encore, débusquer tous les faux amis et les fausses bonnes idées (comme le revenu universel de base, resucée de Capitalisme et Liberté de Milton Friedman en 1962) qui se développent à gauche alors qu’elles promeuvent les positions du bloc bourgeois (les discours identitaires, victimaires, wokistes, etc.).

Le cinquième objectif est de développer des pratiques d’éducation populaire refondée pour le plus grand nombre

Le sixième objectif, et pas le moindre, est de promouvoir une ligne stratégique efficace favorable à l’auto-organisation d’une autonomie populaire pour changer le monde et construire une République sociale évolutive. Pour cela, il faut rompre avec la fausse gauche (car il y a toujours une fausse gauche, celle qui nie la lutte des classes) pour engager une gauche de gauche via la constitution d’un bloc historique populaire autour de la classe ouvrière et employée que l’on doit rassembler, quelles que soient les subdivisions géosociales de ses membres (notamment entre les personnes issues des zones urbaines et des banlieues et celles des zones périphériques et rurales).

Le septième point important est de se mettre en situation d’agir en fonction des luttes sociales pour améliorer constamment le rapport des forces global en créant les bases d’appui nécessaires.

L’heure du repos n’est donc pas arrivée ! Rassemblons-nous autour d’une ligne stratégique favorable au bloc historique populaire versus le bloc bourgeois qui va vers l’union de toutes les droites !

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Voir les volets 1 et 2 : Comprendre la crise économique, sociale et politique mondiale – premier volet et Comprendre la crise économique, sociale et politique mondiale – deuxième volet et le précédent article sur la politique commerciale de la Chine de Wukong : La Chine, ce pays si mal connu.
2 Voir l’article sur Les dessous de la voiture électrique.
3 Le protectionnisme bourgeois est le protectionnisme qui lutte pour des avantages concurrentiels et non pour des avantages comparatifs. Voir les deux premiers volets de cette étude ci-dessus.
4 Qui ne soient plus des Services d’intérêt économique général (SIEG) ou des services sociaux d’intérêt général (SSIG) qui sont soumis à une concurrence totalement faussée, mais des services publics respectant les principes de mutabilité, continuité et égalité afin de répondre aux besoins sociaux.
5 Voir : Le commerce international et les flux internationaux de capitaux – Persée (persee.fr).