Pour une bifurcation holistique et donc écologique

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La plupart des discours politiques se caractérisent : soit par des considérations uniquement sociétales et identitaires évacuant les questions économiques et sociales, soit par des considérations uniquement économiques donc productivistes, soit par des souhaits écologistes qui, faute de rupture au niveau de l’économie capitaliste, sont incapables de réaliser leurs visions subjectives, soit par l’utilisation des principes moraux du bien contre le mal sans étude scientifique sérieuse du réel et de son évolution, soit par le refus d’un discours holistique en partant d’un fait isolé dans son écosystème économique et écologique pour en faire une généralité qui s’imposerait à tous et toutes.

Venant des partisans du capitalisme néolibéral et ordolibéral de « gôche » ou des différents types de droite, on peut trouver cela normal, mais venant de la gauche dite radicale, c’est plus surprenant. Ainsi, définir la radicalité par de simples discours sur des taxations sur les surprofits ou sur le revenu de base inconditionnel (qui n’est qu’une reprise peinte autrement des propositions de Milton Friedman dans son ouvrage Capitalisme et liberté de 1962) ou sur la faisabilité d’une bifurcation émancipatrice en 100 % renouvelable dès 2040 ou par le tout électrique ; ou encore, croire qu’une bifurcation écologique puisse se faire sans une forte sobriété et sans réindustrialisation écologique, sans un processus démocratique, c’est ne pas toucher au réacteur du nihilisme capitaliste, à savoir le rapport de classe dans le travail concret de la création des richesses ; c’est donc aller vers l’impuissance du mouvement écologique.

Quant à la laïcité, elle est devenue pour certains un gros mot, parce que cette notion a été instrumentalisée par la droite et l’extrême droite sans réaction à gauche. En fait, la gauche qui a abandonné la laïcité est la même gôche qui a abandonné la lutte des classes pour accepter une forme adoucie du nihilisme capitaliste peinte en vert.

Non à la simple transition énergétique, oui à la bifurcation écologique

Pour une bifurcation écologique, il ne s’agit pas par exemple uniquement de remplacer l’énergie fossile de l’automobile par une énergie électrique de la voiture personnelle, mais bien de rentrer dans un processus rapide d’extinction de l’utilisation des voitures thermiques tout en développant massivement des services publics de transport, et d’entrer également dans un processus de forte diminution du nombre de voitures individuelles. Dans le premier cas, nous avons affaire à de la simple transition énergétique capitaliste alors que dans le second cas, il s’agit d’une bifurcation écologique émancipatrice.

Pour le mix énergétique, l’enjeu consiste à accroître fortement les énergies renouvelables de toutes natures (solaire, éolienne, biomasse, hydraulique en mer et en rivière, hydrogène blanc et vert et non bleu et gris, géothermie, biogaz) en évitant les fausses bonnes idées comme les biocarburants qui concurrencent les cultures vivrières et demandent de trop forts besoins en eau.

Il convient aussi de ne pas concurrencer trop fort les forêts dont il faudrait plutôt augmenter la surface avec des arbres qui éliminent le plus de gaz à effet de serre possible. Cela doit aller de pair avec l’entrée dans un processus de décroissance rapide des utilisations d’énergies fossiles (pétrole et gaz). Comme il faudra un programme fort de sobriété individuelle, mais aussi un accroissement énergétique industriel à cause de la forte réindustrialisation écologique requise, il sera nécessaire d’entrer dans une phase transitoire de bouclage énergétique nucléaire de deuxième et troisième générations qui devra diminuer dans le temps au fur et à mesure de l’accroissement des utilisations en renouvelables. L’important est en plus d’augmenter la recherche sur les énergies renouvelables et sur le nucléaire de quatrième génération qui lui ne produit que très peu de déchets nucléaires.

Pour les principes de la bifurcation écologique, il convient de commencer dès maintenant à combattre pour une nouvelle hégémonie culturelle aux fins de convaincre les citoyens et leurs familles de la nécessité d’un changement de mode de vie, principalement des catégories les plus aisées (ceux qui produisent le plus des gaz à effet de serre par exemple) pour aboutir à une justice sociale écologique. Il n’y a rien de pire qu’une écologie punitive qui développe le sentiment que ce sont les plus pauvres qui doivent financer les excès des plus des aisées.

En deuxième lieu, il convient non pas de copier la planification par le haut d’après 1945, ni les nationalisations par le haut de 1981, mais bien d’organiser une planification par le bas avec une démocratie délibérative à différents niveaux et non seulement participative ou représentative.

Ces choix doivent se porter sur un débat raisonné entre scénarii construits au sein de l’organisation planificatrice, mais délibérés par les citoyens eux-mêmes.

En troisième lieu, il convient de constituer une comptabilité écologique précise. Cette comptabilité devra préciser les limites à tenir dans le temps des gaz à effet de serre, des intrants pollueurs dans l’agriculture, de la pollution de l’air, de la qualité de l’eau (y compris des pfas, des cyanobactéries, des nitrates et autres éléments chimiques, de la qualité du plancton, etc.), les limites à ne pas sous-passer concernant la biodiversité dans toute sa typologie, etc.

En dernier lieu, il convient que les choix démocratiques soient suivis par un pilotage public des investissements publics et privés avec un système d’objectifs macroéconomiques qui s’imposent à tous, mais avec une concurrence décentralisée sur la base de ces objectifs macroéconomiques avec possibilité d’intervention publique si nécessaire.   

Encore faut-il combattre tous les tours de passe-passe néolibéraux et ordolibéraux pour escamoter la bifurcation écologique

Le dernier tour de passe-passe constaté a été de changer l’outil de contrôle pour mesurer les pollutions des intrants chimiques agricoles du plan Ecophyto suite au mouvement social de l’agro-industrie soutenu par la FNSEA et les Jeunes agriculteurs. Le gouvernement soutenu par les droites a donc cassé le thermomètre pour lutter contre la fièvre ! Et ils ont pris l’outil européen, moins contraignant, au lieu de pousser l’UE à prendre l’outil français.

Autre tour de passe-passe : le refus du débat démocratique tant de l’Arcom que des médias dominants en interviewant uniquement les syndicats liés à l’agro-industrie et pas ceux qui sont pour une agriculture paysanne et/ou biologique.

Un autre tour de passe-passe concerne la rénovation énergétique et la lutte contre la précarité énergétique. Il y a plus de 5 millions de « passoires énergétiques » et plus de 10 millions de ménages en précarité énergétique en France. Au lieu de promouvoir des pompes à chaleur couplées à de la rénovation thermique, on promeut le tout électrique sans rénovation thermique beaucoup moins performant. Au lieu d’engager la rénovation thermique pour diminuer les pertes de chaleur dans les habitations, le gouvernement français projette une manipulation mathématique sur le coefficient en énergie primaire (CEP) pour diminuer considérablement le nombre de « passoires thermiques ».

Un autre tour de passe-passe consiste à gérer des espaces verts en tuant la biodiversité (gazon tondu au ras, élagage des arbres en période de nidification, non-contrôle de certains lacs français contre le braconnage, non-transparence des mesures de pollution, idem pour l’air, etc.)

On pourrait allonger la liste des tours de passe-passe du gouvernement, de l’UE et de nombreuses collectivités locales. Rien ne remplacera les services publics de contrôle de l’écologie au sens large et de la biodiversité en particulier, ainsi que les contrôles des associations citoyennes lanceurs d’alerte dont le développement serait souhaitable.

Existe, par exemple, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) comme groupe international d’experts sur la biodiversité dont le siège est en Allemagne.

Existe également l’Office français de la biodiversité (OFB) dont le siège est à Vincennes, qui peut être un interlocuteur pour les associations lanceurs d’alerte. D’autres structures comme la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO)(1)Voir leur site. ou le Collectif du lac peuvent être intéressants à consulter.

Les discours se verdissent, mais les émissions de CO2 progressent

2022 a vu une hausse de 0,9 % de l’émission globale des gaz à effet de serre dans le monde ; 2023 a connu une hausse de 1,1 %. Qui dit mieux ! Conclusion : les Conférences des parties (COP, dont la dernière est la COP 28) sont des sommets spectaculaires dont personne ne tient compte ! Il faudrait baisser de 42 % pour rester sur une trajectoire de 1,5°C. Certains « écolos réactionnaires » braquent leurs critiques sur les BRICS et notamment sur la Chine et l’Inde, mais ils oublient de dire que c’est dû au fait que ces pays sont toujours « l’usine du monde ». Et comptabiliser pour la France (comme pour beaucoup de pays développés) uniquement le CO2 émis dans le pays, mais pas celui généré dans le cycle des produits qu’il importe fait que la France diminue de quelques % ses émissions de CO2 tout en étant largement responsable de la hausse mondiale des émissions des gaz à effet de serre. Encore un tour de passe-passe !

On voit là que les tenues de gala des participants aux différentes COP participent à la société du spectacle chère à Guy Debord, mais en rien à une attitude écologique. On devrait comptabiliser pour chaque pays les émissions de CO2 en cumulant le CO2 produit dans le pays plus le CO2 produit dans l’ensemble du cycle des produits importés ; et d’une façon plus générale, permettre à chaque pays de pratiquer le protectionnisme écologique et social uniquement sur les différences de normes sociales et environnementales et non pas pour d’autres raisons. Mais les règles de l’Union européenne, les divergences d’intérêt économique grandissantes entre États, et la cogestion européenne avec les lobbies anti-écologiques ne le permettent pas.

Combattre les lobbies et les élites bourgeoises qui organisent la « transformation écologique » capitaliste

Disons-le tout net, tout ce qui est présenté comme vert sans se confronter au réel social, économique et écologique comme le font toutes les droites et toute la « gôche » néolibérale jusqu’à y compris de nombreux parlementaires dits « écolos », tant dans les partis nationaux que dans les partis européens, n’est qu’un appel à l’amour de la couleur verte en peinture, c’est-à-dire au lavage vert (green washing pour ceux qui ne savent plus parler français) des procédés anti-écologiques.

Ainsi, pour la France, Veolia et le sulfureux Jean-Michel Blanquer viennent de lancer une école pour la « transformation écologique ». Après avoir continué le massacre de l’école publique, le voilà devenu un expert des politiques écologiques !

Effectivement, quand on est passé du Collège Stanislas à Sciences Po, on est effectivement « toutologue » et prêt à prendre la tête de toutes les dérives(2)Voir l’article de Reporterre « Une école de la « transformation écologique » pilotée par Veolia et Jean-Michel Blanquer »..

Pour le primat du service public écologique de transport ou le tout électrique sans services publics

Comme dit plus haut, pour le transport, il faut commencer par un plan massif d’accroissement des moyens de transport écologiques. Nos élites, nourries à la croyance « vox elisarum, vox dei » (voix des élites, voix de dieu), ont décidé avec un consensus large (dû à une insuffisance, pour ne pas dire plus, d’une bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle), de conserver le système tel qu’il est et de pratiquer le tout électrique toujours avec autant de voitures individuelles, sinon plus. Pour le massacre des services publics, c’est plutôt bien engagé.

Nos élites ont décidé de préférer l’augmentation des camions sur nos routes et de détruire le fret ferroviaire, de supprimer des lignes de chemin de fer pour voyageurs et de les remplacer par des autocars privés à but lucratif pour les actionnaires, etc. Plusieurs articles ont critiqué le lancement du tout électrique dans l’amont de la chaîne industrielle(3)Voir notre précédent article « Les dessous de la voiture électrique ».. Voilà que les contradictions de la partie aval surgissent. Passer à des voitures électriques avec un plan préalable de développement des services publics écologiques pour ensuite planifier la diminution forte de l’utilisation de voitures individuelles était une voie intéressante. Massacrer les services publics de transport et vouloir le tout électrique en 2035 pose bien sûr un problème important du modèle économique, social et écologique. Déjà, la droite et l’extrême droite veulent repousser la date de 2035. Les constructeurs qui ont engagé la transformation de leur chaîne industrielle sont pris à contrepied. C’est une première contradiction au sein des élites bourgeoises.

Mais ce n’est pas tout. Une deuxième contradiction se déploie à cause de la nouvelle géopolitique qui a mis fin au libre-échange général, mais qui supprime le projet pour un long moment de la possibilité du libre-échange écologique et social avec le principe de l’avantage comparatif pour lui préférer celui avec un avantage concurrentiel anti-écologique(4)Voir les volets 1 et 2 : « Comprendre la crise économique, sociale et politique mondiale – premier volet » et « Comprendre la crise économique, sociale et politique mondiale – deuxième volet » et le troisième volet « Comprendre la crise économique, sociale et politique mondiale – troisième volet » ainsi que le précédent article sur la politique commerciale de la Chine de Wukong : « La Chine, ce pays si mal connu »..

Explications : malgré toutes les rodomontades de nos élites occidentales, il s’avère que le pays qui développe la voiture à batterie électrique la plus concurrentielle est, et de loin, la Chine. Biden a donc décidé des droits de douane qui vont jusqu’à 100 % pour toute voiture importée de Chine. Bien évidemment, cela va renchérir les coûts pour tous les habitants des États-Unis. Et ce sera donc beaucoup plus cher pour les travailleurs vivant aux États-Unis.

L’Union européenne, avec son primat de la concurrence, est confrontée à un dilemme. Soit elle fait comme les États-Unis, soit elle accepte de meurtrir l’industrie automobile européenne. Et comme les États-Unis et l’Union européenne ne peuvent plus, par choix géopolitique, face à la Chine et ses alliés, équilibrer par d’autres avantages comparatifs (voir les articles en note de bas de page) dans un commerce international plus ouvert, les deux solutions sont mauvaises. Soit il va falloir financer la gigantesque différence de coûts, soit liquider une partie de l’industrie automobile européenne. Dans les deux cas, ce sont les travailleurs, à commencer par la classe populaire ouvrière et employée et la partie des couches moyennes vivant le déclassement, qui vont payer la note.

Si on suit la proposition des droites et de la gauche néolibérale et ordolibérale ou si on suit la position de la gauche plus écologiste (celle qui pense que l’on peut combattre le dérèglement climatique sans changer le rapport des forces du système dans le procès de travail), c’est toujours nous qu’on paye ! Même le journal Les Échos s’en émeut(5)Voir : « Européennes : sorties de route sur la voiture électrique » . ! C’est quand même un comble que ce soit un journal de la droite et des affaires qui a le premier dégainé. Parce que c’est un bon journal… mais pour la classe des dirigeants des grandes entreprises. Cependant ce journal en a parlé à ses lecteurs(6)Voir : « Européennes 2024 : ce qui se joue pour les entreprises françaises dans les prochaines élections ».. Que les lecteurs de ReSPUBLICA nous disent s’ils ont entendu ce débat pendant la campagne des européennes dans la bouche des candidats de gauche! Cela viendra en fin de cycle, lorsque le surcroît de forte austérité va arriver pour payer le scandale des politiques du grand patronat mises en place par nos élites bourgeoises.

Conclusion provisoire

Nous pourrions bien sûr rajouter des paragraphes sur la lutte contre les plastiques, sur les différents cycles d’investissement suivant les différents domaines, sur l’épineux problème de ses financements, sur le lien entre la justice sociale et la justice environnementale, sur les services publics nécessaires, sur la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle, sur la biodiversité, sur la qualité de l’eau, etc., mais ce n’est que partie remise.

Dernier point, il n’y aura pas d’avancée sans débat démocratique argumenté et là, il manque de nombreux organisateurs. Avis aux amateurs !